Semaine 49- 2004
Ukraine : quelques
lumières sur un chaos bien organisé
1 - Un peu d'histoire contemporaine :
A la dissolution de l'URSS, l'Ukraine, la plus peuplée des républiques de
l'Union, n'exerce aucune pression politique pour obtenir son indépendance.
Il en va d'ailleurs de même dans toutes les autres républiques à l'exception
des républiques baltes. Au contraire, c'est la Fédération de Russie, alors
dirigée par Eltsine, qui pousse tout le monde dehors au grand dam de GORBATCHEV,
encore à la tête de l'URSS pour quelques mois, mais qui ne contrôle plus rien.
Ainsi en Novembre 1990, ELTSINE vient à Kiev et signe un traité d'amitié avec
l'Ukraine qui reconnaît l'intégrité territoriale de l'Ukraine et de la Russie
à l'intérieur des frontières de l'URSS.
De retour à Moscou, il déclare devant le Parlement que " la Russie ne souhaitera
plus jamais devenir le centre d'un nouvel empire, car pour avoir assumé ce
rôle pendant longtemps, elle ne connaît que trop bien les coûts élevés qu'il
entraînait " ( International Affairs, 29(4) 1993)
Quand en décembre 91, la population ukrainienne approuve par référendum à
91 % l'indépendance du pays, elle le fait après avoir constaté le chaos dans
lequel se trouve la Russie, chaos tel qu'il rendrait inutile et inopérante
toute alliance. C'est le temps du chacun pour soi et de la crise pour tous.
Les dirigeants ukrainiens, tous issus de l'ancien appareil d'Etat puisqu'il
n'y a eu de crise politique intérieure vont donc devoir faire face, sans aucune
préparation, aux échéances les plus brutales : créer une monnaie, assurer
les approvisionnements énergétiques en provenance de la Russie (gaz et pétrole),
refaire fonctionner isolément une économie fonctionnant auparavant comme partie
d'un ensemble intégré. Simultanément ils subissent les assauts diplomatiques
pressants des Etats-Unis qui, profitant de l'aubaine, veulent au plus vite
éliminer d'Ukraine toutes les armes nucléaires qui s'y trouvent. Quelques
gros chèques en dollars, bienvenus dans un pays exsangue où l'inflation est
énorme, la production paralysée, vont faciliter l'opération. Au passage, le
gouvernement ukrainien tend la main pour quelques dollars de plus pour démanteler
la centrale nucléaire de Tchernobyl.
Finalement l'Ukraine est dénucléarisée, les armes sont renvoyées en Russie.
Notons que de temps à autre, une rumeur surgit faisant état de quelques stocks
nucléaires oubliés dans l'inventaire.
Il reste, dans tous les cas, un autre gros problème militaire. La flotte de
guerre soviétique en mer Noire est stationnée à Sébastopol en Crimée sur le
territoire ukrainien. La négociation sur le statut futur de cette flotte va
être tendue et difficile entre les deux pays et n'aboutira qu'en 1997 à un
accord qui attribue une petite fraction de cette flotte à la nouvelle marine
ukrainienne et accorde à la Russie un bail de 20 ans sur ses installations
militaires dans le port de Sébastopol. Il est certain que les Etats-Unis auraient
préféré le départ complet des russes, mais pendant toute cette période agitée
les deux présidents ukrainiens (Kravtchouk puis Kouchma à partir de 1994)
vont tenter à la fois de ménager le voisin russe et le nouveau patron étasunien.
En même temps le pays s'appauvrit, perd des habitants (au moins 3 millions
en 10 ans) et l'économie mafieuse s'y installe : trafic d'armes (à partir
des usines d'armement existantes ou par pillage des arsenaux) trafic d'être
humains, et des mercenaires ukrainiens cherchent fortune ailleurs dans un
monde en déréliction (exemple : les avions de l'armée ivoirienne détruits
au sol par l'armée française étaient pilotés par des aviateurs ukrainiens).
Le fait que l'Ukraine soit aujourd'hui le pays d'Europe le plus atteint par
le SIDA est une indication de la profonde crise sociale qui l'a frappée.
Dans ce jeu de bascule entre Moscou et Washington, KOUCHMA en dix ans de Présidence
(il est élu en 94 et réélu en 99) va user 8 premiers ministres, dont YUSHENKO
qui occupe le poste de 1999 à 2001.
Mais progressivement les liens avec la Russie se resserrent. Il y a les liens
historiques - 400 ans de vie commune de l'Ukraine et de la Russie - les liens
économiques qui se rétablissent peu à peu entre les deux partenaires (malgré
quelques épisodes clochemerlesques comme l'accord sur le remboursement du
gaz que les ukrainiens volaient en trouant les gazoducs conduisant le gaz
sibérien vers l'Europe de l'Ouest qui traversaient leur territoire) et les
liens politiques quand en 1999, l'OTAN attaque la Serbie. A ce moment là,
tous les dirigeants des anciennes républiques soviétiques comprennent que,
non contents de leur imposer via le FMI, la Banque mondiale, la BERD (Banque
européenne pour la reconstruction et el développement) les rigueurs de l'économie
néolibérale mondialisée, les Etats-Unis et l'Union Européenne n'hésiteront
pas à recourir à la force pour imposer leur système et leurs multinationales.
La leçon est comprise à Moscou, comme à Minsk, à Kiev et dans les républiques
d'Asie Centrale et d'une CEI protocolaire on envisage de passer à un marché
commun entre anciens, projet qui allait commencer à être mis en œuvre.
Le deuxième signe fort est le basculement de la Georgie à l'automne 2003 où
a lieu ce que certains observateurs ont nommé la " première révolution post-moderne
", c'est à dire une révolution spectacle où des acteurs, pour nombre d'entre
eux sincères, sont instrumentalisés dans un processus préparé de longue date,
mis en scène et financé de l'extérieur par des colporteurs en démocratie prête-à-porter
et soigneusement télévisé dans le monde entier. Le plus célèbre de ces colporteurs
est le fameux milliardaire/ aventurier/spéculateur étasunien GEORGE SOROS
dont la " Fondation pour la société ouverte " déverse des millions de dollars
sur des groupements surgis soudainement du néant, opposés au gouvernement
en place et qui vont pouvoir en quelques mois ouvrir journaux, radios et télévisions
où l'opposition politique se conjugue à la COM occidentale : techno, pub et
talk shows.
Depuis sa prise de pouvoir en Georgie, le Président SAAKASHVILI n'a pas manqué
une occasion pour annoncer qu'il se préparait à être accueilli en triomphe
à Kiev dans une Ukraine enfin " libérée ".Il n'ignorait certainement rien
des préparatifs de cette " libération ".En effet, remercié par KOUCHMA en
2001, YUSHENKO a décidé d'accéder au pourvoir suprême et a été choisi (ou
s'est imposé) par les Etats-Unis comme leur homme à Kiev. Il est " honorablement
" connu à Washington puisqu'il a été représentant de l'Ukraine au FMI et qu'il
a épousé, en seconde noce, une étasunienne d'origine Ukrainienne. Ce lien
n'est pas qu'anecdotique puisque prés d'un million d'ex-ukrainiens vivent
aujourd'hui aux Etats-Unis et y constituent un groupe de pression bien organisé
et bien doté financièrement. Il forme son parti, s'allie à un parti socialiste
local très à droite et va prendre appui sur les populations et les régions
de l'Ouest du pays. Celles-ci se caractérisent par :
Ces caractères vont servir de facteurs de discorde avec les populations des régions de l'Est, russophones, orthodoxes et surtout plus prospères car y sont concentrées les mines et l'industrie lourde. Ces différences et cette inégalité économique sont le terreau sur lequel YUSHENKO, ses alliés et ses soutiens ont semé la coupure actuelle du pays. Elles vont être exaltées par des structures d'agitation ad hoc :
En d'autres lieux comme
dans les Balkans, les occidentaux préfèrent néocoloniser les régions riches
comme la Slovénie et laisser à l'abandon les régions ou pays pauvres comme
l'Albanie mais ça n'a pas été possible en Ukraine car au moment des privatisations
de la grande industrie ukrainienne, à la fin des années 90, ce sont des groupes
russes qui ont mis la main sur les grandes entreprises ukrainiennes presque
toutes installées dans l'Est.
Le Président KOUCHMA comme son premier ministre YANUKOVICH ont pu observer
le développement de cette stratégie de guerre civile et ont tenté d'organiser
des contre-feux pour ne pas être balayés comme l'a été l'équipe CHEVARDNADZE
en Georgie en 2003.
2- Sur les pratiques
électorales
Il ne s'agit pas d'exonérer l'équipe au pouvoir de toute responsabilité dans
des fraudes encore que le premier rapport du COMITE BRITANNIQUE POUR L'OBSERVATION
DES ACCORDS D'HELSINKI ne soutienne pas cette hypothèse mais d'observer :
3 - Sur les ingérences
politiques étrangères :
Le soutien de la Russie à YANUKOVICH a été tout à fait officiel et délibéré
et les félicitations de POUTINE ont été l'exacte réplique de celles de BUSH
à SAAKSHVILLI bien avant la proclamation officielle des résultats de l'élection
de Georgie en 2003.
Parmi les nombreuse interventions ou prises de position politiques des Etats-Unis
avant le vote, notons :
4- Sur l'empoisonnement
de YUSHENKO :
Le médecin viennois que l'a soigné a dans son diagnostic écrit qu'il n'avait
pas trouvé de signes d'empoisonnement. Il a subi des pressions pour écrire
le contraire et il a refusé. Il est aujourd'hui menacé de mort et a embauché
des gardes du corps !
Nous devons regarder la
situation en Ukraine avec lucidité.
Ce qui est en jeu, c'est la volonté des Etats-Unis, partagée par l'Union Européenne
de faire entrer l'Ukraine dans l'OTAN et de l'arrimer définitivement au camp
occidental. Ils veulent gagner.
Mais ce qui est nouveau et en même temps périlleux, c'est que cette fois la
Russie ne veut pas perdre.
Le second mandat de BUSH s'ouvre donc sur une crise politique majeure qui
a lieu sur le continent européen et où l'Union Européenne prend le chemin
de se faire dicter sa politique par Washington. Mettre en avant la Pologne
forte de tout son ressentiment antisoviétique nourrie de ses inimitiés avec
la Russie tsariste, ressortir d'un tiroir WALESA, le syndicaliste devenu réactionnaire
et rejeté à ce titre par les électeurs polonais (1,5% des voix aux présidentielles),
faire intervenir JAVIER SOLANA, le secrétaire général de l'OTAN au moment
du bombardement de la Yougoslavie sont autant de signes d'un affrontement
voulu avec la Russie.
C'est un choix funeste.
Comme chacun sait, la Russie contemporaine n'est pas socialiste, mais l'humilier
ouvre la porte à d'autres secousses et installe encore plus profondément le
climat de guerre sur la planète.
Chavez
à Madrid
Reçu à Madrid, le président vénézuelien a fait quelques mises au point.
Au sénat, il a rappelé que l'ex premier ministre espagnol, JOSE MARIA AZNAR,
avait activement soutenu les auteurs de la tentative de coup d'état dont il
a failli être la victime en 2002 et que les services de renseignement vénézueliens
en avaient des preuves.
Au cours d'un meeting public tenu dans l'immeuble des Commissions Ouvrières
(une des trois confédérations syndicales espagnoles) il a souligné la différence
entre la Révolution Chilienne (Allende au pouvoir) et la révolution bolivarienne
en cours au Venezuela : " La révolution chilienne était pacifique, mais désarmée,
la révolution bolivarienne est, elle aussi, pacifique, mais elle est armée
" En écho à ses propos, la salle a alors scandé :
EL PUEBLO
ARMADO, JAMAS SERA APLASTADO !
(Le peuple armé ne sera jamais écrasé)