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Bulletin 118

Semaine 6- 2005

L'Europe menacée ? Quels ennemis ? Quelle guerre ?

Pour parler de défense européenne, il est indispensable de parcourir du regard la nouvelle période historique qui s'ouvre à la fin de la seconde guerre mondiale. Sans oublier que cette guerre a aussi profondément bouleversé l'Asie - le Japon envahit la Mandchourie dés 1931 et le reste de la Chine en 1937 - cette guerre a été très sauvage entre européens, et ne sont restés à l'écart des combats que quelques pays : Suisse, Suède,Finlande, Espagne, Portugal. Le bilan humain est désastreux : 20 millions de morts en URSS, 6 millions en Allemagne ...
Le bilan matériel ne l'est pas moins : industries ravagées, infrastructures détruites. A des degrés divers l'Europe est exsangue et à reconstruire.
4 puissances sont victorieuses : Etats-Unis, URSS, Grande-Bretagne et France mais cette égalité des drapeaux des vainqueurs ne peut pas masquer les énormes inégalités que la guerre a creusé entre eux. Les Etats-Unis se sont battus avec succès sur deux fronts : en Asie et en Europe, ils ont eu relativement peu de pertes humaines, aucun dégât sur leur sol, ils ont profité du calme qui a régné sur tout le continent américain et ont mis en marche une machine industrielle qui en 1945 domine le monde. Le pays représente alors 50 % du PIB mondial.
L'URSS a porté le plus gros du fardeau humain et matériel de la lutte contre l'envahisseur nazi. Elle est victorieuse mais économiquement affaiblie. Cette guerre fait ranger définitivement la Grande Bretagne au rang des puissance moyennes, son leadership économique et monétaire mondial acquis au 19° siècle déjà gravement atteint après la première guerre mondiale appartient désormais au passé. Elle n'a tenu le choc militaire contre le Reich que grâce au soutien des Etats-Unis. La France est un peu le miraculé : sa participation à la victoire est venue à la fois de l'empire colonial sur lequel elle s'est appuyée pour la reconquête du territoire national, de la réussite du pari gaulliste, et des combats de la résistance intérieure. Que cette conjonction incertaine de facteurs ait réussi montre bien que l'Histoire et les hommes qui la font défient quelquefois les prévisions.
Dès 1944 les Etats-Unis dessinent le nouveau paysage politique mondial et mettent en place les outils de leur prééminence : la fondation du FMI et de la Banque Internationale Reconstruction et le Développement (qui deviendra plus tard la Banque Mondiale) confère au dollar le rôle de devise à cours mondial au détriment de la livre sterling. En 1945 ils mettent en place l'ONU l'organisme qui à la fois délivre un message de paix au monde (la charte et le déclaration universelle des droits de l'homme) et en même temps met en place le directoire des affaires mondiales : le Conseil de Sécurité et ses 5 membres permanents avec droit de veto (Etats-Unis, URSS, Grande-Bretagne, France et Chine nationaliste). Les négociations entre futurs vainqueurs (conférences de Téhéran et de Yalta) et vainqueurs (accords de Potsdam) dessinent le paysage et les frontières de la nouvelle Europe qui n'a d'autre choix que de s'y plier. La ligne de partage du continent correspond au point de rencontre de l'armée soviétique d'une part, des armées alliées (USA, Grande-Bretagne et France) d'autre part.
Ainsi naquit l'Europe de l'Ouest, nouvel espace politique qui n'avait pas de réalité géographique bien évidente mais qui correspondait au rapport des forces. Les Etats-Unis y déversèrent en abondance du blé, des dollars - qui servaient souvent à importer du matériel en provenance des Etats-Unis - et y installèrent leurs bases militaires. De l'autre côté de la ligne de partage, l'URSS va organiser progressivement et symétriquement son espace géopolitique.
Sans rentrer dans le débat sur les causes et les responsabilités dans le déclenchement et la poursuite de la guerre froide, il n'est pas inutile de souligner que ceux qui s'étonnent d'apprendre aujourd'hui que le grand père de George Dabeliou BUSH finançait l'industrie de guerre nazie doivent considérer que ce cas n'était pas isolé, que l'antibolchevisme était dominant dans la classe dirigeante US et que sa décision d'entrer en guerre contre l'Axe ne fut pas immédiate. Enfin la tenue du procès expiatoire de Nuremberg pour les dirigeants nazis n'empêcha pas les Etats-Unis d'accueillir sur leur sol et d'utiliser les compétences des savants, espions et autres spécialistes qui avaient fait de l'armée du Reich un adversaire si redoutable, hommage discret au vaincu. En France même, la droite était, jusqu'à l'invasion du pays, majoritairement plus hostile à l'URSS qu'au Reich, a préféré faire l'autruche quand Hitler a pris le pouvoir et il ne s'est trouvé que 80 députés en 1940 pour refuser de confier la direction du pays à un régime de collaboration avec l'occupant.
La face à face de la guerre froide était donc inscrit dans une histoire beaucoup plus longue et ce d'autant plus que sur l'autre versant de l'Eurasie le parti communiste chinois s'approchait rapidement du pouvoir et il est connu que les bombardements d'Hiroshima et de Nagasaki, s'ils allaient hâter la capitulation d'un Japon déjà défait, étaient un signal envoyé à l'URSS pour lui signifier qu'il y avait certes plusieurs vainqueurs de la guerre mondiale mais - déjà - une seule superpuissance.
La tension entre les deux blocs va donc rapidement monter et l'Europe de l'Ouest va s'inscrire très vite dans le nouveau découpage stratégique. Dés mars 1948 la Grande-Bretagne, la France, la Belgique les Pays-Bas et le Luxembourg signent un traité de défense commune : le traité de Bruxelles. Les moyens militaires propres sont limités mais le " parapluie " US est là. Cette première alliance, qui fait sortir les pays du Bénélux de leur traditionnel neutralisme, est ouvertement tournée contre l'Allemagne. Cependant, les Etats-Unis ne sont pas prêts à laisser l'Allemagne ou au moins sa partie occidentale à l'extérieur de ce bloc. Le blocus de Berlin va leur permettre d'imposer leurs vues et d'accélérer les négociations entre les signataires du traité de Bruxelles et les Etats-Unis en vue de mettre sur pied l'alliance transatlantique toujours en vigueur aujourd'hui.
Le 4 Avril 1949 était signé le traité de l'atlantique Nord (dit de Washington) entre les cinq de Bruxelles et les Etats-Unis. S'y associaient aussitôt : l'Italie, le Danemark, la Norvège, l'Islande et le Portugal. La partition de l'Allemagne n'était pas encore scellée mais la présence massive des troupes US sur le sol ouest allemand intégrait de facto ce territoire dans le dispositif militaire commun. Ce traité met en place une alliance classique : ces signataires s'engagent collectivement à défendre celui d'entre eux qui serait attaqué. Cette disposition sera appliquée après les attentats du 11 septembre au profit des Etats-Unis qui mettront ainsi leurs alliés en demeure de participer à leur " guerre contre le terrorisme ".
La guerre de Corée et la détention par l'URSS de l'arme nucléaire (ce qui rétablit la parité stratégique avec les Etats-Unis) vont conduire à un renforcement de l'alliance militaire occidentale qui prend la forme d'une organisation militaire commune dotée d'un commandement intégré. C'est ainsi que l'OTAN en tant que structure exécutive du Traité de Washington est créée en Février 1952. Elle dispose de deux centres de commandement : l'un aux Etats-Unis à Norfolk, l'autre en Europe et plus précisément en France dans la banlieue parisienne. La guerre froide est désormais bien installée.
Il y a donc eu glissement progressif d'un traité - celui de Bruxelles - ouvertement établi pour s'opposer à une nouvelle agression allemande à un autre - traité de l'Atlantique Nord complété par son organisation militaire, l'OTAN - qui, au contraire, inclut par troupes d'occupation interposées l'Allemagne de l'ouest dans le bloc occidental.
En effet et quelles que soient les réserves des populations européennes sur le réarmement de l'Allemagne, les Etats-Unis, dans leur face à face avec l'URSS, tiennent absolument à impliquer l'Allemagne de l'ouest dans leur dispositif militaire et à faire participer les européens sinon aux grandes décisions - les commandants suprêmes de l'Otan seront toujours des militaires US - mais au moins aux opérations et à leur financement.
La première tentative pour contourner l'hostilité des européens va échouer. Le projet de Communauté européenne de défense (CED), élaboré en 1952, vise à rien moins qu'à fusionner les armées nationales - en particulier la française et l'allemande - dans une armée européenne. Il est présenté en Août 54 à l'Assemblée nationale française qui le repousse, les gaullistes et les communistes ayant fait front commun dans ce débat important. Cette crise entre la France, seul opposant à la CED, et les Etats-Unis est rapidement dénouée par les accords de Paris (Octobre 1954) qui prévoient la fin de l'occupation militaire de l'Allemagne de l'Ouest , sa reconnaissance comme état souverain et son adhésion à l'OTAN. Est ainsi autorisée la reconstitution d'une armée allemande à qui il est cependant interdit la possession de ce qu'on appelle aujourd'hui les " armes de destruction massive ".D'autre part et pour assurer, malgré tout, la coordination des politiques militaires des états ouest européens il est créé en 1955, l'Union de l'Europe Occidentale (UEO) qui associe dix pays : Allemagne, Belgique, France, Grande-Bretagne, Italie, Espagne, Portugal, Pays-Bas, Luxembourg.
Face aux réticences françaises, les accords de Paris consacrent donc une nouvelle avancée des positions des Etats-Unis qui veulent que l'Europe porte sa part du fardeau de dépenses militaires de l'OTAN et que l'Allemagne soit réhabilitée en tant que puissance militaire de plein droit si ce n'est de plein exercice. La réponse française à ce changement important de la donne stratégique sera le lancement du programme nucléaire. Cette décision préparée par Mendès-France en 54 est prise par Guy Mollet en 56. A son arrivée au pouvoir, de Gaulle héritera d'un programme déjà bien avancé qu'il n'aura qu'à poursuivre.

Parallèlement mais indépendamment se poursuit la construction de l'Europe économique : Communauté Européenne Charbon et Acier, (CECA) puis Marché Commun avec l'entrée en vigueur le 01.01.1959 du traité de Rome (1957) qui associe : Allemagne de l'Ouest, Belgique, France, Italie, Luxembourg et Pays-Bas. Ces six pays sont par ailleurs tous membres de l'OTAN et donc sous le contrôle, pour leur politique militaire, des Etats-Unis. Et même si l'Europe économique s'agrandit par l'adhésion de nouveaux membres, même si parmi ces nouveaux certains ne sont pas membres de l'OTAN, même si la France, sans sortir de l'OTAN, se soustrait au commandement militaire intégré - c'est-à-dire US - en 1963, ces deux Europes chemineront côte à côte sans se mélanger jusqu'en 1989.
Pendant trente années l'Europe de l'Ouest, d'élargissement en élargissement, de traité en traité, poursuivra sa construction économique et politique et pendant trente années sa politique militaire se fera dans le cadre du Traité de l'Atlantique Nord, lui immuable depuis 1949, car considéré par les Etats-Unis comme l'instrument permanent de leur contrôle stratégique.
Mais entre 1989 (chute du mur de Berlin) et 1991 (dissolution de l'URSS), le paysage politique européen est bouleversé. Kohl réunifie l'Allemagne à marche forcée sans trop se soucier de ce qu'en pense ses partenaires européens. Il va réussir à faire ainsi entrer la RDA dans la Communauté européenne sans que la dite Communauté ne pose aucune condition. L'OTAN qui voit disparaître soudainement son adversaire ne se dissout pas pour autant et l'Allemagne agrandie qui est devenue le pays le plus peuplé et le plus puissant industriellement de l'Europe communautaire reste dans l'OTAN.
Les autres gouvernements européens et au premier chef la France doivent s'adapter à cette situation totalement nouvelle et largement impréparée vu la rapidité des évènements. La disparition du rideau de fer, le retrait total de l'armée russe de toutes les démocraties populaires ouvre en effet un immense espace d'influence à la nouvelle Allemagne qui pourrait renouer avec de vieux penchants pangermanistes et trouver dans la domination de la Mittel Europa une aire d'expansion économique à sa mesure quitte à prendre ses distances avec ses voisins et partenaires de l'ouest. La réponse à cette inquiétude est le traité de Maastricht.
Ce traité vise à ligoter l'Allemagne nouvelle. A la place de la Communauté, partenariat entre Etats souverains, il crée l'Union Européenne, personne morale, qui ne fait pas disparaître les Etats nationaux mais est un pas en direction d'une fédération européenne, il jette les fondements de la monnaie unique qui intègre la monnaie la plus forte, le mark, dans un système de convergence qui débouchera sur l'Euro en 99 et qui coûtera très cher aux pays -et à leur population - à monnaie plus faible comme la France et enfin il prévoit que l'Union Européenne doit :

" Affirmer son identité sur la scène internationale notamment par la mise en œuvre d'une politique étrangère et de sécurité commune y compris la définition, à terme, d'une politique de défense commune qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune. " (Article J.4.1)

Bien qu'il en ait été rarement question dans les grands débats politiques et bien que tous les signataires n'en aient pas eu la même lecture, cet article n'est pas resté lettre morte depuis la mise en œuvre du traité et les questions de politique étrangère commune et de défense ont fait l'objet de nombre de réunions et de débats. Au chapitre des échecs : la question yougoslave. La reconnaissance unilatérale de sécession de la Slovénie et de la Croatie par l'Allemagne qui, moins de huit jours après la signature du traité de Maastricht met ses partenaires devant le fait accompli, va entraîner des divergences constantes avec les autres membres de l'union, principalement la France et la Grande-Bretagne. Cette division sera exploitée par le Etats-Unis qui, par OTAN interposée, poursuivront sur le terrain yougoslave la politique de leurs intérêts : c'est-à-dire la démolition de tous les Etats qui ne se plient pas à la nouvelle discipline de fer néolibérale, qui ne privatisent par leurs économies et qui ne demandent pas à adhérer à l'OTAN. Cette paralysie européenne se manifestera sur le plan politique : accords de DAYTON pour la Bosnie-Herzégovine négociés sur une base militaire US où les dirigeants des républiques ex-yougoslaves sont quasiment enfermés jusqu'à ce qu'ils signent un accord, et sur le plan militaire avec l'agression de la Serbie par l'OTAN en 99 sans mandat de l'ONU.
Pourtant ce n'est pas l'immobilisme. La défense commune, même en projet, est confiée à l'UEO qui regroupe les membres de l'Union également membres de l'OTAN c'est-à-dire tous sauf l'Irlande et dont le siège est pour l'occasion déménagé de Londres à Bruxelles (ce qui permet de rassembler au même endroit pour intensifier leurs relations la Commission européenne, l'OTAN et l'UEO).
Pendant que se poursuit le drame yougoslave, L'Union va se doter de règles en matière de politique étrangère : Les principes de Petersberg (du nom de la ville allemande où s'est tenu un sommet européen en Juin 1992) définissent les tâches auxquelles les unités militaires communes pourraient être utilisées :

Ces missions, qui ne comportent aucune limite géographique, sont identiques à celles arrêtées par l'OTAN quelques semaines plus tôt à Oslo.
La première pose un problème de principe : les armées sont-elles les meilleurs outils pour effectuer des missions humanitaires, les budgets consacrés aux armées ne seraient-ils pas mieux employés dans des missions de protection civile ? Ce problème s'est reposé encore récemment en Asie du Sud-est.
Le maintien de la paix est, le cas yougoslave l'a bien montré, un principe d'une application très délicate. Face à une guerre civile, il est tentant de favoriser un camp politiquement plus proche que de séparer les belligérants ou de ramener simplement le calme dans la portion du territoire où des " intérêts " (un pipeline, une exploitation minière, un port ....) sont menacés, il est aussi tentant de ne rien faire si précisément aucun " intérêt " n'est menacé. Il peut apparaître également que les " intérêts " de plusieurs membres de l'Unions sont opposés. Enfin doit-on s'imposer comme faiseur de paix quand le pays concerné ne vous demande pas d'intervenir. ? La réponse à cette question difficile a été trouvée par un artifice idéologique " le devoir d'ingérence " mis en circulation à cette période là et qui est venu sans débat international tourner hâtivement et imprudemment tourner la page d'un droit international encore bien fragile, fondé sur la souveraineté des Etats et qui est le fondement de la légitimité de l'ONU.
Quant aux opérations de rétablissement de la paix elles confèrent à ceux qui en ont les moyens matériels le droit de faire la police chez tous les autres, c'est la porte ouverte au " gendarme mondial " rôle pleinement assumé avec le talent que l'on sait par GW BUSH. En effet l'ONU n'a aucun moyen propre pour faire appliquer les décisions du Conseil de Sécurité en la matière et ne peut que mandater les puissances militaires qui le contrôlent.
Ainsi la disparition de l'ennemi officiel, l'absence de tout autre adversaire menaçant n'empêchent pas l'Europe de préparer sa défense commune en la calquant sur celle de l'OTAN et en appelant défense non plus celle du territoire européen mais celle des " intérêts " européens. L'Union européenne n'a à aucun instant posé la question de l'ouverture d'une ère de paix sur le continent et s'est ainsi ralliée à la théorie étasunienne des " intérêts menacés " qui, dés l'énoncé de la doctrine MONROE (1823), et en pratique depuis la fin du 19° siècle a servi de justification à ce pays pour renverser des gouvernements, en faire tomber d'autres et à s'installer progressivement, le feu nucléaire à la main, en maître du destin de l'humanité.
Bien sur, les moyens que se donne l'Europe pour mener cette politique militaire clairement impérialiste ne peuvent faire d'elle qu'un second couteau, un sous-traitant des Etats-Unis car le lien de l'OTAN fermement tenu par Washington lui interdit dans tous les cas de s'opposer à une aventure guerrière décidée par Washington. La dissidence maximale possible a été celle de la France et de l'Allemagne refusant de participer à l'invasion de l'Irak mais cette invasion a été approuvée par la majorité des gouvernements de l'Union et même plébiscitée par les nouveaux venus : Pologne, Hongrie, République tchèque. L'alliance transatlantique n'est plus un outil de défense, mais un outil au service de la domination mondiale des Etats-Unis. Des troupes allemandes, françaises sont aujourd'hui en Afghanistan sous le drapeau de l'OTAN, des instructeurs européens vont au nom de l'OTAN former les cadres de la future armée irakienne. On envisage même, l'armée US étant trop occupée en Irak, d'envoyer des contingents européens protéger ce qui reste du territoire d'un futur Etat palestinien des empiètements de l'armée israélienne. L'OTAN intègre les pays européens de l'ancien bloc soviétique avant même qu'ils soient admis dans l'Union. Il s'agit même maintenant d'une sorte de condition préalable à remplir par les candidats. L'OTAN pousse la Turquie, fidèle partenaire depuis 1952 qui, depuis cette date, a toujours abrité sur son sol des missiles nucléaires US, dans les bras de l'Europe.
Les 4 NON-OTAN : Irlande, Suède, Finlande Autriche ne pèsent pas assez lourd pour corriger cette trajectoire et devront s'en accommoder ou partir, ce qu'aucun n'a menacé de faire.
La doctrine fixée, les moyens ont commencé à être mis en place mais la division de l'Union sur le conflit yougoslave a retardé ce développement. Ce n'est que depuis 1999 après que les Etats-Unis soient venus bombarder un pays européen (sans défense ou si peu) face à une Europe impuissante que des mesures ont commencé à être prises. Dans l'intervalle s'est poursuivi le mouvement de professionnalisation des armées [1] qui confirme que ce n'est plus la nation en arme qui défend son territoire, mais l'Etat qui peut exercer la violence militaire à l'extérieur de ses frontières pour défendre ses " intérêts ". en " projetant " - c'est le terme officiel - des forces chez autrui.
Les questions de cette défense d'un type bien particulier vont à partir de cette date reprendre une place importante dans les sommets européens et cette relance du projet inclus dans le traité de Maastricht est confirmée dans le projet de traité constitutionnel sur lequel les européens seront, comme cela ne s'est jamais vu pour aucune constitution au monde, consultés les uns après les autres à des dates et selon des procédures différentes.

Qu'on en juge.

Le projet de traité sur lequel les citoyens auront, bientôt à se prononcer s'orne d'un préambule dont la première phrase est la suivante :

" Conscients que l'Europe est un continent porteur de civilisation ; que ses habitants, venus par vagues successives depuis les premiers âges, y ont développé progressivement les valeurs qui fondent l'humanisme : l'égalité des êtres, le liberté, le respect de la raison "

Ce témoignage d'auto-satisfaction de nos couches dirigeantes qui ont pondu ce petit texte pourra justement être perçu comme ici même et dans d'autres continents comme une bien étrange amnésie. Oubliée la colonisation de l'Amérique qui décima des dizaines de millions d'autochtones, oubliée la traite négrière, oubliée la colonisation de l'Afrique et d'une partie de l'Asie, oubliées deux guerres mondiales, oubliés le fascisme et le nazisme. Les européens sont des civilisateurs, les autres étaient sans doute des sauvages, les européens sont des humanistes les autres étaient sans doute des brutes.
Le texte lui-même confirme (article 15) la détermination à poursuivre l'objectif d'une défense commune déjà annoncé à Maastricht.

" La compétence de l'Union en matière de politique étrangère et de sécurité commune couvre tous les domaines de la politique étrangère ainsi que l'ensemble des questions relatives à la sécurité de l'Union y compris la définition progressive d'une politique de défense commune qui peut conduire à une défense commune. "

Après ces généralités, des précisions :

DISPOSITIONS PARTICULIÈRES À LA MISE EN OEUVRE DE LA POLITIQUE DE SÉCURITÉ ET DE DÉFENSE COMMUNE
Article 40
1. La politique de sécurité et de défense commune fait partie intégrante de la politique étrangère et de sécurité commune. Elle assure à l'Union une capacité opérationnelle s'appuyant sur des moyens civils et militaires. L'Union peut y avoir recours dans des missions en dehors de l'Union afin d'assurer le maintien de la paix, la prévention des conflits et le renforcement de la sécurité internationale conformément aux principes de la Charte des Nations Unies. L'exécution de ces tâches repose sur les capacités fournies par les États membres.

Observations :

2. La politique de sécurité et de défense commune inclut la définition progressive d'une politique de défense commune de l'Union. Elle conduira à une défense commune, dès lors que le Conseil européen, statuant à l'unanimité, en aura décidé ainsi. Il recommande, dans ce cas, aux États membres d'adopter une décision dans ce sens conformément à leurs règles constitutionnelles respectives.
La politique de l'Union au sens du présent article n'affecte pas le caractère spécifique de la politique de sécurité et de défense de certains États membres, elle respecte les obligations découlant du traité de l'Atlantique Nord pour certains États membres qui considèrent que leur défense commune est réalisée dans le cadre de l'Organisation du traité de l'Atlantique Nord et elle est compatible avec la politique commune de sécurité et de défense arrêtée dans ce cadre.

Observation :
Il est rappelé gentiment aux non membres de l'OTAN que l'Union suivra, que cela leur plaise ou non, une politique approuvée par les Etats-Unis

3. Les États membres mettent à la disposition de l'Union, pour la mise en oeuvre de la politique de sécurité et de défense commune, des capacités civiles et militaires pour contribuer aux objectifs définis par le Conseil des ministres. Les États membres qui constituent entre eux des forces multinationales peuvent aussi les mettre à la disposition de la politique de sécurité et de défense commune.
Les États membres s'engagent à améliorer progressivement leurs capacités militaires. Une Agence européenne de l'armement, de la recherche et des capacités militaires est instituée pour identifier les besoins opérationnels, promouvoir des mesures pour les satisfaire, contribuer à identifier et, le cas échéant, mettre en oeuvre toute mesure utile pour renforcer la base industrielle et technologique du secteur de la défense, participer à la définition d'une politique européenne des capacités et de l'armement, ainsi que pour assister le Conseil des ministres dans l'évaluation de l'amélioration des capacités militaires.

Observations :

En résumé, l'Europe de la défense, telle que la consoliderait le traité constitutionnel s'il était approuvé, serait une Europe interventionniste, militarisée, vassale des Etats-Unis dans ses grandes orientations et employée à de besognes secondaires pour décharger le patron.
L'Europe de l'après-traité constitutionnel serait à la fois, ce qui va ensemble, anti-sociale à l'intérieur * et agressive à l'extérieur.
On ne nous empêchera pas de rêver à une Europe qui prêcherait et pratiquerait le désarmement au lieu du réarmement, qui renoncerait à être le premier fournisseur mondial d'armes légères et de mines, celles avec lesquelles on fait s'entretuer les pauvres, qui renoncerait au nucléaire comme l'ont fait l'Afrique et l'Amérique Latine, qui quitterait en bloc une OTAN devenue une coalition agressive, qui serait enfin et vraiment " civilisatrice et humaniste "
Tous ce qui n'ira pas dans ce sens ne sera qu'une pâle copie du néo-impérialisme étasunien et la garantie pour l'Europe d'être considérée sans nuance par la grande majorité des humains qui ne vivent pas dans les pays économiquement développés (mais socialement en régression) comme faisant partie du camp des salauds**

* problème largement abordé par les partisans du NON au référendum
** dans l'acception sartrienne .
[1]L'idée d e la professionnalisation des armées est lancée, comme d'habitude, par l'OTAN dans une réunion tenue les 7 et 8 Novembre 91 . Elle sera mise en application en Belgique (92), Pays-Bas (93), France (96), Espagne (98) Portugal et Italie (99).
Pour mémoire, l'opposition de l'opinion publique US à la guerre du Vietnam ne prend vraiment de l'ampleur que lorsque le recrutement, pour s'élargir, se fait par tirage au sort c'est-à-dire touche indistinctement toutes les catégories sociales.

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