Semaine 45 - 2003
Prolifération nucléaire
Dans une récente interview au Monde, Le directeur général de L'AIEA, l'égyptien
Mohamed El Baradai qui a succédé au suédois Hans Blix, vient de faire le point
sur les risques de prolifération nucléaire.
Créée en 1957 et ayant pour tâche principale de faire respecter les dispositions
du traité de non prolifération nucléaire(TNP), l'Agence Internationale pour
l'énergie atomique (AIEA), a, en effet, fort à faire. D'abord pour étendre
son champ d'activité : en effet et bien que 188 Etats aient signé le TNP,
elle ne dispose, pas plus que l'ONU, du pouvoir de contraindre ou de sanctionner
des Etats qui n'y adhèrent pas comme Israël, l'Inde et le Pakistan, ensuite
pour faire respecter les dispositions du traité par tous les Etats qui y ont
adhéré. Car, si les cas de l'Iran et de la Corée du Nord ont été au cœur de
l'actualité nucléaire internationale depuis des mois, il faut souligner que
l'extrême imbrication entre le nucléaire civil et le nucléaire militaire rend
relativement facile le passage de l'un à l'autre.
L'AIEA en est tellement consciente que Mohamed El Baradai, son directeur,
reconnaît que 35 à 40 pays, possédant déjà une industrie nucléaire civile,
ont aujourd'hui les capacités humaines (si l'on peut oser ce qualificatif)
et matérielles de se doter de l'arme nucléaire.
Sachant que dans nombre de ces pays des pressions s'exercent sur les gouvernements
pour doter le pays de ces armes qui, l'exemple de la Corée du Nord le montre,
paraissent dissuasives et conduisent les Etats-Unis à une certaine retenue,
l'AIEA se trouve face à une tâche colossale qui nécessite des moyens financiers
qu'elle n'a pas. Or, le financement de l'AIEA est assuré principalement par
les Etats-Unis. Comme on imagine mal ce pays donner de l'argent pour aller
inspecter un pays ami, il est évident que le renforcement des contrôles sera
réservé aux pays de " l'axe du mal ". Les autres pourront continuer leurs
petites affaires sans trop d'inquiétude et les non signataires du TNP continueront
à vaquer au développement de leur arsenal sans être montrés du doigt.
Dans ce contexte, face aux pressions considérables qui s'exercent sur lui,
l'Iran fait preuve d'une certaine prudence, annonce qu'il projette de signer
le protocole additionnel au TNP qui autorise des inspections surprises de
l'AIEA, rappelle à qui veut l'entendre qu'il existe au Moyen-Orient une puissance
nucléaire (Israël) à qui aucune instance internationale ne demande des comptes,
en même temps qu'il favorise ou laisse faire des manifestations de rue contre
la signature du protocole additionnel.
La nouvelle doctrine
nucléaire française
Le 25 Octobre, Libération annonçait une très importante révision de la doctrine
militaire de la France en matière d'armes nucléaires. Il ne s'agissait ni
plus ni moins que d'abandonner la stratégie de dissuasion mise en œuvre sans
discontinuer depuis les débuts de la Vème République, laquelle consistait
à être capable de porter à un agresseur une attaque nucléaire si énorme (détruire
la capitale ou des zones urbaines riches et peuplées, ou détruire des zones
d'activité vitales comme centrales électriques, barrages ...) que l'agresseur
présumé hésiterait à frapper le premier. Ainsi les missiles français à tête
nucléaire installés jusqu'il y a peu sur le plateau d'Albion prés d'Apt étaient-ils
pointés sur Moscou. L'histoire dira un jour si l'URSS avait vraiment l'intention
de frapper la première ou si, elle aussi, avait adopté la stratégie de la
dissuasion.De récents documents déclassifiés de la CIA vont dans le sens de
la dissuasion. Ils font ressortir en particulier qu'au moment de la présidence
Reagan, l'URSS, alors dirigée par Andropov, a cru très sincèrement et au plus
haut niveau (ne pas oublier qu'Andropov était le chef des services secrets
soviétiques avant de devenir premier secrétaire du PCUS à la mort de Brejnev)
à une attaque des Etats-Unis.Comme Bush II l'a fait après les attentats du
11 Septembre, Reagan avait lancé dès son arrivée à la Maison Blanche la première
" guerre contre le terrorisme " et sa posture menaçante était prise très au
sérieux au Kremlin.
Les spécialistes dénomment cette stratégie de la dissuasion " riposte du faible
au fort ".
Le jour même, l'Elysée a démenti l'information et l'explication fournie par
les officiels vaut son pesant de plutonium. Qu'on en juge : " Ce n'est pas
la doctrine stratégique nationale qui a changé, c'est la situation internationale.
" Propos digne d'Edgar Faure, cet homme politique qui fit une belle carrière
sous la IV° République et se vit même confier par De Gaulle la réforme des
universités après Mai 1968 et qui fit cette réponse superbe à un journaliste
qui l'accusait d'être une girouette : " Monsieur, ce ne sont pas le girouettes
qui tournent, c'est le vent ! "
En fait il s'agit bien désormais de diriger d'éventuels tirs nucléaires français
vers des Etats-voyous, sans cependant utiliser ce terme trop " Bushiste "
et deuxième sous-entendu : les Etats-voyous étant imperméables aux négociations
diplomatiques préalables à toute frappe, la frappe préventive n'est pas exclue.
Au moment où se négocie le futur traité constitutionnel européen qui entérine
le principe d'une défense européenne, Chirac commence à définir les contours
de cette politique de défense en en prenant implicitement le commandement
stratégique en sa qualité de seul détenteur autonome (Blair, lui, est contrôlé
par les Etat-Unis) de l'arme atomique. Quand les citoyens de certains petits
pays de l'Union européenne s'inquiètent des tentations dominatrices de la
France et de l'Allemagne, ils ne manquent pas de lucidité.
Pour nous, la seule défense européenne acceptable serait celle qui serait
consacrée explicitement dans le traité à la protection du territoire européen,
traité qui devrait interdire toute expédition extérieure et toute installation
permanente de troupes de quelque pays que ce soit de l'Union hors des frontières
de celle-ci.
Mais le traité n'est pas signé. Il est donc encore temps de lancer le débat
public sur ce sujet et COMAGUER s'y emploiera.
L'article de Libération et le démenti de l'Elysée n'ont eu que peu d'échos
dans la presse française. Par contre, le sujet, qui ne sera pas débattu par
les voies démocratiques existantes mais qui était depuis plusieurs mois souhaité
par le lobby nucléaro-militaro-industriel national et relayé par les cercles
de la droite dure (voir par exemple le dernier livre de Nicola Baverez sur
la " décadence " française) a été largement repris à l'étranger où la changement
de la politique nucléaire française a bien été compris.
La France tente ainsi de passer de la stratégie du " faible au fort " à
celle du " fort au fou " (c'est ainsi que la résume les stratèges). Double
avantage : se ranger dans le camp des " forts " (COCORICO !) et déclarer "
fou " qui bon vous semble en fonction des intérêts du moment.
La grande bataille
pour le contrôle du pétrole mondial
L'arrestation de Mikhaïl Kkodorkovsky, dirigeant de la Société russe Yukos/Sibneft,
4° société pétrolière mondiale, a donné lieu à d'abondants commentaires. Les
plus bruyants et les plus abondants sont venus des milieux de la finance internationale.
Par solidarité de classe d'abord. Mikhaïl K. était devenu en moins de dix
ans un des hommes les plus riches de la planète et un des plus courtisés par
les dirigeants politiques, y compris deux des Etats-Unis où il s'était récemment
installé avec sa famille, puisqu'il jouait sur le grand échiquier mondial
du pétrole et du gaz naturel où il était devenu une des pièces maîtresses.
Les délits financiers qu'il a commis ne sont probablement ni de nature ni
d'ampleur bien différentes de ceux commis par exemple par les dirigeant d'ENRON
ou d'ELF ou de tous ceux commis par d'autres grandes sociétés pétrolières
mais qui n'ont pas l'honneur des médias.
La différence est que Mikhaïl K. est en prison alors que les délinquants de
haut vol qui peuplent ce petit monde ont l'habitude de circuler librement
et d'attendre sans angoisses que des magistrats courageux et sans grands moyens
finissent par les attraper.
Cet emprisonnement suscite la colère des milieux financiers internationaux
qui parlent de " l'insécurité " du bizness en Russie et qui pour bien manifester
leur mécontentement font sortir illico de gros paquets de dollars de la bourse
de Moscou.Qu'est-ce donc que cette insécurité d'un nouveau type ? Que fait
Sarkozy ?
Les grands joueurs de la globalisation économique, qui sont nombreux à circuler
en voiture blindée et avec des gardes du corps, veulent la sécurité de leurs
placements et investir dans tout pays avec la garantie que les règle du jeu
national - fixées pas des lois - qu'ils connaissent au moment où ils s'installent
ne soient plus jamais modifiées au moins dans un sens que diminuerait leur
taux de profit. Telle est la logique qui était à l'œuvre dans l'AMI (accord
multilatéral pour l'investissement), telle est la logique à l'œuvre dans l'OMC
et dans l'accord général sur le commerce et les services (AGCS).
Cette logique s'est appliquée dans toute son ampleur dans la Russie d'Eltsine
où s'est créée une couche de dirigeants sans scrupules qui ont acheté à bas
prix, voire dans certains cas volé, tout ce qui était privatisé ou privatisable,
ont trouvé immédiatement des complices dans les milieux financiers internationaux
et ont profité pleinement d'un affaissement de l'Etat propice à toutes les
escroqueries sans risque de sanctions.
La prise du pouvoir par Poutine n'est en aucune façon, comme les médias vont
essayer de le faire croire, un retour quelconque à une économie centralisée
à la soviétique et encore moins l'expression d'intentions " socialisantes
", oubliées depuis longtemps. Mais elle constitue un sursaut de cadres de
haut niveau formés dans un appareil d'Etat puissant et redoutable. Ceux-ci,
Poutine en tête, savent que Mikhaïl K. et ses semblables sont prêts, pourvu
qu'ils soient invités ay festin, à laisser dépecer le patrimoine russe par
le Capital transnational.
Or, toute affaiblie qu'elle soit, la Russie reste encore compétente dans plusieurs
secteurs industriels avancés ( astronautique, nucléaire, armement, métallurgie)
et surtout dispose d'un énorme potentiel énergétique : elle talonne l'Arabie
comme premier producteur mondial de pétrole, elle est nettement en tête pour
le gaz naturel.Poutine et son équipe ont donc parfaitement compris que , s'ils
ne gardent pas la maîtrise du secteur pétrolier, ils ne pèseront bientôt plus
rien sur la scène mondiale. D'où le coup d'arrêt à la résistible ascension
de Mikhaïl K.
Un préavis très clair lui avait été donné puisque son directeur financier,
Platon Lebedev, avait lui-même été arrêté le 2 Juillet. Il est accusé de détournement
de fonds publics et du meurtre de Vladimir Petukhov, maire de la ville de
Nefteyugansk, où est installé le siège de Yukos, la maire ayant intenté une
action en justice contre la société pour non paiement des impôts.
Une autre manifestation du conflit entre les sociétés pétrolières privées
et l'Etat russe était le refus par ce dernier de privatiser le réseau national
(Transneft) d'oléoducs et de gazoducs, réseau qui lui permet de maîtriser
le commerce extérieur du pétrole et du gaz.
Mais Mikhaïl K. est allé trop loin en entamant des négociations pour s'associer
ou pour fusionner avec un des deux géants du pétrole US : EXXON/MOBIL et CHEVRON/TEXACO.
Pour Poutine et son équipe qui n'avaient pas pu s'opposer au rachat du groupe
pétrolier russe TNK par BP/AMOCO, le projet de Mikhaïl K. conduisait à faire
prendre les décisions stratégiques pour l'industrie pétrolière russe chez
les Rockefeller ou à la Maison Blanche.
Ne nous y trompons pas : ni Bush, ni Poutine ne sont des démocrates. Ils se
battent pour le contrôle du pétrole et du gaz mondial et l'affaire K. est
un nouvel épisode où Poutine, menacé de trahison par un joueur de son propre
camp, tente de reprendre la main. Il a l'avantage sur le Etats-Unis d'être
exportateur et d'avoir des réserves, ce qui lui donne du temps, mais la bataille
sera longue.
Mercenaires
Les Etats-Unis ne se contentent pas de recruter des soldats étrangers dans
leurs propres troupes, en particulier des candidats à la naturalisation, ils
ne se contentent pas de faire partager la charge de la guerre à d'autres pays,
ils sous-traitent à des firmes privées nationales une partie des tâches normalement
dévolues à l'armée. Voici une première liste des heureux élus dans cette catégorie
en pleine expansion avec leurs lieux d'intervention
Cette liste établie, par le " Centre pour l'intégrité publique " de l'Université George Washington, est intéressante car elle dresse une liste des pays où des interventions militaires des Etats-Unis sont soit en cours soit en préparation soit possibles à échéance rapprochée ou dans un très proche environnement. L'Irak est en tête de liste partout, pas de quoi surprendre, mais on voit aussi apparaître des pays minuscules comme la Guinée Equatoriale d'où se dégage depuis peu une forte odeur de pétrole.
Erratum
Dans le bulletin 76, nous avons réduit le nombre des membres actuels de L'Union
Européenne non membres de l'OTAN à deux : Suède et Autriche. Rendons
justice à deux autres non membres : la Finlande et l'Irlande que nous
n'avions pas cités.
Une précision encore du côté des dix nouveaux : La république de Chypre (deux
tiers de l'île) qui va rentrer dans l'Union, n'est pas membre de l'OTAN, mais
abrite une importante base militaire britannique et le tiers restant de l'île
est occupé depuis 1974 par la Turquie, pilier de l'OTAN dans la région.