Semaine 50- 2003
Elections en Russie
: l'Ouest fait la fine bouche
Au lendemain du vote, Washington, n'ayant pas trouvé de trucages électoraux
à dénoncer, a commencé à parler d'élections sous pression. Comme si la propagande
électorale était une activité critiquable en dehors des Etats-Unis où là elle
bénéficie, plus que dans n'importe quel pays du monde, d'énormes moyens techniques
et financiers. Ce qui dérangeait, c'était que les deux partis pro-occidentaux
disparaissaient du parlement.Ils auraient pu surnager s'ils s'étaient entendus,
mais l'un est le parti des nouveaux riches, milliardaires en dollars pour
qui le libéralisme c'est la totale liberté des entreprises et pour l'autre,
qui recrute dans les catégories éduquées de la population : professeurs, scientifiques,
hauts fonctionnaires, le libéralisme c'est la liberté individuelle à laquelle
ils aspiraient mais qui se sont considérablement appauvris depuis la chute
de l'URSS.Leur entente était hautement improbable.
Bref ce qui dérange les Etats-Unis et tous les gouvernements européens qui
leur sont fidèles ou soumis, c'est que la Russie et pas seulement Poutine
et son équipe mais des fractions très larges de la population se sente de
plus en plus assiégée par les Etats-Unis et leurs amis (qui annoncent l'installation
de nouvelles bases militaires en Pologne et en Azerbaïdjan) et qu'elle se
raidisse. Le parti du Président est dominant (en France aussi !) mais il est
entouré au Parlement de partis qui, de l'extrême-droite de Jirinovski au parti
communiste sont très divers, ils ont en commun d'être nationalistes et de
ne pas supporter le pillage des ressources naturelles de la Russie par les
multinationales US. Les nombreux abstentionnistes n'ont probablement pas beaucoup
d'espoir de voir les élections améliorer leurs conditions de vie devenues
très dures, surtout dans les régions froides et éloignées des grandes métropoles.
Manœuvres militaires
et politiques dans le Caucase
La visite de Rumsfeld en Georgie a été immédiatement suivie d'effets. Les
forces de sécurité géorgiennes formées et conseillées par les Etats-Unis ont
pénétré en Ossétie du Sud, cette province qui a depuis plusieurs années affirmé
sa volonté d'indépendance par rapport au pouvoir central. Ce séparatisme peut
surprendre, mais il faut savoir que la région du Caucase est depuis longtemps
une mosaïque de peuples, de langues, de traditions et que les régions, Abkhazie,
Adjarie et Ossétie du Sud qui aujourd'hui veulent se séparer de la Georgie
étaient dans la constitution de l'URSS, qui avait reconnu leurs particularités,
des républiques autonomes. En s'impliquant dans les tensions caucasiennes,
les Etats-Unis se préparent d'autres moments difficiles. Pourtant rien ne
semble les arrêter puisque leur nouveau protégé géorgien, Saakashvilli, joue
désormais le rôle de commis voyageur en " révolution de velours ". Il vient
de se rendre en visite non officielle en Ukraine où il a lancé le candidat
des Etats-Unis à la présidence de l'Ukraine. Il s'agit, habituez vous à ce
nom, de Viktor Yuschenko, qui a suivi avec lui le stage de formation " révolution
de velours ", cet été en Serbie (voir notre bulletin 81).
Au cours d'un meeting du " Mouvement National ", parti de Yuschenko, Saakashvilli
a annoncé que " le monde entier savait déjà " que Yuschenko serait le nouveau
président de l'Ukraine. Les électeurs ukrainiens sont prévenus, ils pourront
aller à la pêche le jour du vote, le résultat est déjà connu ! Dans l'Azerbaïdjan
voisin il est inutile de susciter un coup d'état, puisque les élections truquées
ont amené au pouvoir le " bon " candidat et il va être possible de passer
tout de suite à la phase ultérieure : l'installation de bases militaires US.Le
projet consiste à y installer des unités aujourd'hui stationnées en Allemagne.
Méfiant, le ministre des affaires étrangères du Kazakhstan a de son côté déclaré
que son pays n'était pas candidat à une " révolution de velours ".
Elargissement de l'Europe
Le projet de traité valant Constitution de l'Europe n'a donc pas été approuvé
par les Etats (les 15 actuels et les 10 futurs). Ceci n'a pas empêché Giscard,
père du projet, d'être reçu à l'Académie française.Un petit lot de consolation
pour le vieil adversaire personnel de Chirac.L'Europe entre donc dans une
période chaotique dont elle aura de la difficulté à sortir.
Première difficulté : absorber à toute vitesse des Etats qui n'ont vu dans
l'Union qu'un contrepoids à une influence soviétique qui leur avait laissé
de mauvais souvenirs. Pour les gouvernements (à part les cas particuliers
de Malte et Chypre) il s'agissait, et ceci s'est vérifié dans le fait qu'ils
ont adhéré à l'OTAN avant de rentrer dans l'Union, de renverser les alliances
militaires antérieures et de passer, en se référant à la période de la guerre
froide, de l'Est à l'Ouest. Les populations, elles, caressaient le rêve d'une
hausse rapide du niveau de vie, assimilant l'Europe de l'Ouest à un paradis.
Les petits malins eurent vite fait, eux, de découvrir que Bruxelles était
un grand dispensateur de subventions. L'illusion européenne a donc fonctionné
à plein sur ces différents plans et on a un peu vite oublié que la dynamique
initiale de l'Europe était le résultat d'une volonté des européens de l'Ouest
d'éviter de nouvelles guerres entre eux et que cette volonté était soutenue
par les Etats-Unis qui ont fait d'elle leur premier bastion face à l'empire
soviétique.
Ces deux conditions déterminantes ont aujourd'hui disparu :
L'Union européenne n'est
pas aujourd'hui porteuse d'un projet politique et social qui suscite l'adhésion
populaire. Elle est en train de déconstruire pierre à pierre le système d'Etat-Providence
qui en faisait l'originalité. Elle radote en cherchant à réaffirmer des valeurs
morales et philosophiques qu'elle n'a pas toujours respectées dans le monde
extérieur et vis-à-vis des populations extérieures.
L'Union européenne est minée de l'intérieur par son incapacité à se soustraire
à la volonté de domination globale des Etats-Unis. Ses divisions par rapport
à la politique impérialiste de Bush sont éclatantes et, qui sait, porteuses
d'une future explosion. De ce point de vue, le seul accord réalisé à Bruxelles,
celui sur la défense européenne, est bien révélateur de la soumission aux
Etats-Unis. Au départ un projet porté par l'Allemagne, la Belgique et la France
et visant à mettre sur pied un commandement militaire européen autonome, à
l'arrivée une réaffirmation des liens indéfectibles entre l'Europe et les
Etats-Unis et via l'OTAN, désormais alliance militaire sous contrôle US à
vocation planétaire, une présence régulière d'officiers généraux US dans l'état-major
européen. Le Pentagone a encore marqué des points : la petite armée européenne
sera un sous-traitant régional sur lequel les USA se déchargeront de tâches
secondaires.
Enola gay : le déshonneur
des Etats-Unis
Enola Gay était le nom donné au bombardier B29 qui bombarda Hiroshima le 6
août 1945. Les Etats-Unis, décidément en plein délire militaire, ont décidé
de faire de cet avion un objet de culte. Au lieu d'être envoyé à la ferraille,
l'avion a été rénové et une annexe spéciale du Musée de l'air et de l'espace
vient d'être ouverte dans les environs de Washington pour l'exposer et célébrer
à la mode étasunienne ce jour très sombre de l'histoire de l'humanité. Cette
célébration d'un des plus grands crimes de guerre a cependant suscité des
réactions. Des survivants d'Hiroshima et Nagasaki, invités par des comités
anti-guerre locaux sont venus manifester devant le musée le jour de l'inauguration.
L'ONU et le désarmement
Même si elle est consciente son inefficacité, l'assemblée générale de l'ONU
continue à se préoccuper de la santé et de l'avenir du monde et à voter des
résolutions. Elle vient ainsi, comme elle le fait à chaque session de se prononcer
sur une série de textes sur le désarmement. Il est intéressant d'analyser
les votes émis sur ses résolutions le 8 décembre :
Ces votes très massifs en faveur du désarmement sont intéressants car ils montrent bien qui sont les principaux acteurs de la course à la guerre, mais, en même temps, ils révèlent cruellement l'impuissance des Nations Unies.
Comment se forme l'opinion
mondiale
Un des enjeux de la mondialisation est le formatage de l'opinion publique
mondiale en cours de constitution. Le rôle des chaînes de télévision est bien
connu mais l'image s'use vite et la même image peut susciter des commentaires
divers voire opposés. Pour fabriquer un consensus favorable aux visées des
Etats et des entreprises dominantes, il faut travailler plus en profondeur.
C'est le rôle de la presse écrite.Le temps des journaux nationaux est révolu
et la presse mondiale d'opinion est en cours d'intégration idéologique, en
attendant de l'être financièrement si nécessaire. Un des outils de cette intégration
est une association : PROJECT SYNDICATE qui regroupe 184 journaux dans 96
pays et dont les liens permettent le même jour de donner la même appréciation
dans le monde entier sur un même évènement, en particulier sur tout ce qui
touche à l'économique te au social. La France a 3 adhérents : Le Figaro, les
Echos et Le Monde.
Real Politik
Quand la CIA fournissait à Saddam Hussein des listes de membres du parti communiste
irakien pour qu'il les élimine c'était dans les années 60.
Quand Donald Rumsfeld, déjà ministre de Reagan, rendait visite à Saddam Hussein
pour l'encourager à poursuivre la guerre contre l'Iran et lui fournissait
les armes chimiques nécessaires pour éviter la victoire de l'Iran de Khomeiny,
c'était dans les années 80.
Quand les Etats-Unis bombardaient quotidiennement l'Irak et affamaient sa
population, ils laissaient se poursuivre la contrebande pétrolière vers la
Jordanie, la Turquie et la Syrie, contrebande qui alimentait les fidèles du
régime, c'était dans les années 90.
Le vent a tourné. Saddam et son régime sont tombés.Mais quel irakien peut
croire que les Etats-Unis lui veulent du bien à son pays ? La résistance va
continuer.
Pétrole irakien
Le nouveau scandale Halliburton, cette grande entreprise US présidée jusqu'en
2001 par le Vice-président des Etats-Unis Dick Cheney, a permis de constater
que l'Irak, une des premiers producteurs du monde n'était plus capable de
produire lui-même les carburants nécessaires à sa vie quotidienne. Oui, l'Irak
importe de l'essence et Halliburton prend une grosse marge sur ces ventes.
Le client, celui qui passe les commandes et paie les factures, n'est autre
que le " gouverneur " US, Paul Bremer. Celui-ci est parfaitement conscient
de cette situation mais il sait qu'Halliburton saura " renvoyer l'ascenseur
" en finançant la campagne électorale de son patron, Georges W.Bush.
L'Irak avait bien avant l'invasion les capacités techniques et matérielles
de raffiner su place son propre pétrole.Mais les multinationales du pétrole
qui lorgnent sur les raffineries irakiennes, naguère nationalisées, sont prudentes.
Ces raffineries constitueraient aujourd'hui des cibles trop tentantes pour
la résistance. Il est donc plus confortable et financièrement rentable puisque
aucune concurrence n'est tolérée, d'importer les carburants du Koweït ou d'Arabie
saoudite et de les faire payer au prix fort avec l'argent de la " reconstruction
" de l'Irak.
De leur côté, les exportations de pétrole brut ont repris à partir du port
irakien d'Oum Qasr. Ce port est très proche des champs pétroliers du Sud Irak
et n'en est séparé que par quelques kilomètres de désert de sable. La sécurisation
du secteur a donc été relativement facile. Ce pétrole brut est acheminé en
majorité vers les ports étasuniens du Golfe du Mexique et vers l'Asie : Inde
et Japon principalement.
Par contre les attentats contre les pipelines et l'insécurité générale de
la zone du Nord de l'Irak ont interdit la reprise des exportations à partir
des champs pétroliers de la région de Kirkuk vers le port turc de Ceyhan.Ce
retard pourrait donner argument aux partisans de la réouverture du pipeline
vers Israël aboutissant au port d'Haïfa ou favoriser des négociations secrètes
entre la Syrie et les Etats-Unis pour rouvrir le pipeline conduisant au port
syrien de Banyas.
La Loya Jirga délibère,
l'opium prospère
Pendant que les médias continuent à essayer de faire croire que le gouvernement
Karzaï gouverne l'Afghanistan, les chefs de guerre ont repris leurs habitudes.
D'après CNN, la production d'opium serait aujourd'hui 36 fois plus importante
qu'elle ne l'était avant la chute des talibans. Rumsfeld qui se fait passer
pour un dispensateur de démocratie a d'ailleurs rencontré certains de ces
chefs de guerre la semaine dernière en Afghanistan et il ne leur a pas fait
la leçon. Dame, la CIA prend sa commission sur les ventes et les analystes
financiers estiment à 600 milliards de dollars l'argent du blanchiment qui
donne aujourd'hui des couleurs aux indices boursiers de New-York.