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Bulletin 92

Semaine 13- 2004

Yougoslavie : échec de la " guerre humanitaire "
Cinq ans après la " guerre humanitaire " destinée à interrompre " l'épuration ethnique " au Kosovo, le bilan de cette guerre d'un nouveau type est désastreux.Malgré la présence de 18 000 " soldats de la paix ", la KFOR sous commandement OTAN, et de plusieurs milliers de policiers de la MINUK (ONU) une nouvelle opération de purification ethnique vient d'avoir lieu. Cette fois-ci ce ne sera pas prétexte à un bombardement de 40 jours par l'OTAN ; l'OTAN ne va pas se bombarder elle-même ! Mais au moment où Bush célèbre son élargissement, l'OTAN fait bien piètre figure sur le terrain. Les quelques serbes qui demeurent encore au Kosovo ont en effet été l'objet d'une attaque systématique et bien organisée qui a mis en action simultanément sur plus de 30 points du territoire plus de 50 000 hommes bien équipés appartenant à la police kosovare qui n'est autre que la continuation de l'UCK, cette milice albanaise considérée comme terroriste par les Etats-Unis jusqu'en 1998, puis convertie en 1999 par les mêmes Etats-Unis en interlocuteur responsable au moment des négociations de Rambouillet et en " corps de protection " (sic !) de la province après les bombardements et l'occupation par l'OTAN.
Cette action de guerre a fait plusieurs dizaines de morts dans la population serbe locale, et ceux qui ont été protégés par la KFOR, c'est-à-dire mis à l'abri au moment où arrivaient les terroristes, n'ont rien retrouvé de leurs maisons, de leurs fermes, de leur bétail quand ils sont revenus sur place.Tout avait été brûlé et saccagé. Ils ont la vie sauve mais ils n'ont plus rien et vont aller grossir la population des camps de réfugiés en Serbie. Au passage les terroristes s'en sont pris à tous les édifices religieux orthodoxes y compris ceux classés au patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO, pour bien faire comprendre aux serbes qu'ils n'avaient plus rien à faire dans cette province et que leur culture et leur histoire étaient en voie d'éradication.
Le représentant de l'ONU sur place, M. Holkeri, une sorte de gouverneur courageux comme son ombre n'a pas hésité à déclarer que le projet de " Kosovo multiethnique " n'avait plus lieu d'être et qu'il proposerait prochainement un nouveau concept. Ce " nouveau concept " ne devrait pouvoir être proposé que par l'ONU qui officiellement gouverne la province, mais M. Holkeri fait comme s'il allait décider seul et surtout sans fâcher les albanophones.Il aura ainsi présidé à une épuration ethnique qui, en proportions, dépassera celle qui a eu lieu au Timor Oriental.
Soucieux de mettre un terme à cette épuration qui n'avait pas cessé depuis 1999, qui concerne aussi les roms et les juifs, mais qui s'accentue, le Premier ministre serbe, Kostunica, s'est rendu à Bruxelles pour essayer de proposer une solution politique. Il est en droit de la faire puisque du point de vue juridique le Kosovo est encore une province de la Serbie, ce dont la fameuse " communauté internationale " et l'ONU, qui est théoriquement le défenseur du droit international, se moquent.
Il a donc demandé une " cantonisation " du Kosovo, c'est-à-dire un sous-découpage de la province créant des cantons où les serbes seraient regroupés et où la police kosovare n'aurait pas accès.Cette proposition qui est en même temps une solution du désespoir puisqu'elle entérine le fait que toute cohabitation des albanophones et des serbes est désormais impossible, (merci l'ONU !) n'a pas été retenue par Javier Solana aujourd'hui en poste à l'Union européenne, qui, on s'en souvient, était en 1999 secrétaire général de l'OTAN, l'agresseur. Kostunica a pu évoquer également la possibilité d'un retour de l'armée serbe au Kosovo qui est formellement prévue par la résolution 1244 de l'ONU, mais sans succès et l'OTAN a, pour se faire valoir, transféré quelques centaines d'hommes de Bosnie (où ils sont plus de 30000) au Kosovo. De son côté, la Russie a fourni une aide à la Serbie pour l'accueil des réfugiés.
Ainsi se démontre qu'une fois l'infernale mécanique du découpage ethnique lancée, elle ne s'arrête que si ceux qui l'ont favorisée, c'est-à-dire en l'occurrence les Etats-Unis et l'Europe désunie, décident de l'arrêter. A défaut, les Etats nationaux explosent en provinces, les provinces en cantons, les cantons en villages et pour finir, chacun entoure son jardin de barbelés, s'achète une kalachnikov et les enfants vont à l'école en gilet pare-balles. Seules les multinationales circulent librement avec les bombardiers en couverture.

Taiwan : les élections ne passent pas
La victoire du président sortant a été trop étroite pour ne pas susciter d'abord des questions puis une franche opposition qui a pris d'abord la forme d'un pugilat au Parlement entre les députés des deux partis en lice et ensuite la forme d'une immense manifestation de protestation de 400000 personnes devant le palais présidentiel.
Les motifs de mécontentement sont nombreux :

Après avoir tergiversé et tenté de renvoyer le problème devant la Cour Suprême qui n'aurait pas statué avant 6 mois, l'élu a finalement accepté que les votes soient recomptés. Sa décision était attendue par le patronat et les " marchés ", comme on dit dans les chroniques financières, car la bourse de Taipeh était en chute libre et, comble d'ironie, les capitaux fuyant Taiwan avaient tendance à se réfugier à HongKong, la région chinoise autonome qui, pour les dirigeants de Pékin, constitue le modèle de ce que devrait devenir Taiwan : une terre chinoise, sous souveraineté chinoise, mais avec une grande autonomie économique sous régime capitaliste. Mais elle a certainement fait l'objet d'une intense réflexion à Washington. Il a fallu attendre une semaine pour que le porte paroles de la Maison Blanche, mais surtout pas Bush lui-même, adresse ses félicitations à l'élu. Ces félicitations ont suscité une réaction immédiate à Pékin où le Ministre des Affaires étrangères a souligné que les Etats-Unis avaient écrit à plusieurs reprises dans des communiqués communs qu'ils n'étaient pas favorables à l'indépendance de Taiwan et qu'ils devaient donc tenir leurs engagements.
Le face à face entre la Chine et les Etats-Unis sur la question de Taiwan se poursuit donc et reste pour l'heure sur le terrain diplomatique. Mais histoire de compliquer la partie de Go en cours, il vient de s'y ajouter un petit conflit sur un archipel situé entre Taiwan et Okinawa, île japonaise occupée par les Etats-Unis et aujourd'hui gérée par le Japon.
L'archipel en question est celui des Senkaku/Diaoyu (nom japonais/nom chinois). Il est constitué de 5 îlots volcaniques inhabités d'une surface totale de 7 kilomètres carrés. Pour le Japon, cet archipel fait partie de Taiwan et est donc passé sous souveraineté japonaise en même temps que Taiwan en 1895. Mais en 1945 le statut de l'archipel n'a pas été réglé et le Japon continue à le revendiquer avec l'aval des Etats-Unis qui en 1971 lui en ont confié la gestion en même temps que l'île d'Okinawa mais sans que cela ne figure dans aucun texte. La Chine avance que l'archipel a été découvert par des chinois et été régulièrement utilisé par des pécheurs chinois. Bref, un bel imbroglio qui pourrait se dénouer entre amis si on était entre amis !
Ce n'est pas le cas et la tension monte entre la Chine et un Japon qui, impressionné par la puissante croissance de son grand voisin, s'aligne de plus en plus sur les Etats-Unis. Premier incident en 1996: une mission scientifique japonaise débarque sur l'île au grand dam de la Chine. Les chinois viennent de répliquer en envoyant eux aussi une mission scientifique. Les scientifiques, en fait des étudiants, ont été arrêtes par la marine japonaise et Pékin exige leur libération.
Cela parait dérisoire mais, comme on l'apprend à tous les lycéens, les grandes guerres ont souvent des causes immédiates infimes.Il n'empêche que ces petites escarmouches contribuent au climat de tension qui s'installe en Asie de l'Est et dissimulent mal le fait que les eaux territoriales entourant l'archipel des Sekaku/Diaoyu recèlent d'intéressants gisements pétroliers. Or le Japon n'a pas de pétrole et la Chine en consomme aujourd'hui plus qu'elle n'en produit. Cet aspect du conflit est tellement officiel que Pékin affirme que sa souveraineté sur l'archipel ne doit pas empêcher un accord pour l'exploitation en commun de ces richesses naturelles.

Japon : Bush au tribunal
L'alignement total du gouvernement japonais sur la diplomatie des USA ne fait pas n'unanimité dans le pays. On en veut pour preuve la tenue à Tokyo en Février d'un tribunal pénal international où Bush était inculpé pour avoir entrepris une guerre d'agression contre l'Afghanistan. Ce tribunal, inspiré du Tribunal Russell, qui dans les années 70 avait mis en accusation la politique des Etats-Unis au Vietnam, n'était évidemment pas une juridiction créée par l'ONU ou par le gouvernent japonais, mais une création spontanée par des intellectuels et juristes renommés. Il a cependant, malgré l'absence de l'inculpé, travaillé comme un tribunal, a auditionné des témoins et des experts de divers pays. Le jugement rendu par un jury de cinq membres : deux japonais, un anglais, un étasunien et un indien peut être résumé ainsi :
Le Président Bush, chef des armées US, est reconnu coupable de :

  1. Guerre d'agression contre l'Afghanistan et contre le peuple afghan en violation de la Charte des Nations Unies
  2. Usage d'armes interdites par les conventions internationales ayant provoqué la mort d'afghans : hommes, femmes et enfants
  3. Crime contre l'humanité envers le peuple afghan en raison d'actes inhumains contre de larges fractions de la population en raison de l'invasion, des bombardements et de l'absence de soins
  4. Violation des conventions de La Haye et de Genève en raison des tortures et des assassinats de prisonniers qui s'étaient rendus, et des conditions de détention et de déportation inhumaines. En particulier transport de prisonniers dans des conteneurs scellés et sans aération
  5. Situation humanitaire grave résultant des bombardements avec exode massif, famines et épidémies
  6. " Omnicide " en raison de l'utilisation d'armes à l'uranium appauvri qui tuent les humains et contaminent l'air, l'eau, les ressources alimentaires et qui altèrent de façon définitive le code génétique des espèces humaines, animales et végétales
  7. Atteinte grave à la santé des soldats et du personnel civil des organisations internationales en raison de la contamination radioactive

En conséquence, le Tribunal a déclaré l'inculpé criminel de guerre, lui a interdit l'exercice de toute fonction publique et il a déclaré que les citoyens, soldats et civils, des Etats-Unis étaient fondés, sur la base des principes du tribunal de Nuremberg qui a jugé les dirigeants nazis, à désobéir à ses ordres et à ceux de son administration qui sont privés de légalité par la condamnation du tribunal.
Le tribunal recommande :

* Le tribunal de Nuremberg qui jugea 23 dirigeants nazis siégea de Novembre 1945 à Octobre 1946 et prononça 12 condamnations à mort. Dans les attendus du jugement, il précisa : "Entamer une guerre d'agression n'est pas seulement un crime international ; c'est le crime international suprême qui diffère des autres crimes de guerre en ce qu'il renferme en lui-même l'ensemble de leurs méfaits "
Nous tenons le texte intégral (17 pages en anglais) de ce jugement et de ses attendus très circonstanciés à la disposition de nos lecteurs.

L'OTAN, antichambre et sélectionneur de l'Union européenne
Les trois républiques baltes, la Slovénie, la Slovaquie la Bulgarie et la Roumanie sont devenues membres de l'OTAN le 30 Mars 2004. Cette adhésion ne constitue pas un grand renfort militaire puisque seules les armées bulgare et roumaine sont d'une certaine taille (190 000 hommes) quoique que mal équipées avec du matériel datant de l'époque soviétique. Mais l'intérêt de cette adhésion est politique puisque il s'agit après la Pologne, La Hongrie, la République tchèque d'une nouvelle fournée d'ex alliés de l'URSS qui s'engagent sous la bannière des Etats-Unis.Les chefs de gouvernements venus à Washington pour signer les documents d'adhésion ont été reçus en grande pompe par Bush qui a souligné que désormais 40% des pays membres de l'OTAN venaient de l'ancien bloc soviétique.
La Russie a d'ailleurs très bien compris qu'elle est ainsi l'objet d'une surveillance militaire de plus en plus rapprochée et que son alliance avec les Etats-Unis en fin 2001 dans le cadre de la " guerre contre le terrorisme " était un marché de dupes. En effet les nouveaux, avec l'actif soutien des Etats-Unis, vont faire tous leurs efforts pour convaincre leurs voisins de les rejoindre. Les premiers visés sont : La Croatie, L'Albanie (où l'armée US est déjà présente) et la Macédoine (où sont présentes des troupes de l'OTAN), mais d'autres pourraient suivre.
L'autre enseignement de ces nouvelles adhésions à l'OTAN est que l'intégration dans l'OTAN constitue aujourd'hui un préalable quasi obligatoire à l'entrée dans l'Union Européenne, puisque 5 des Etats qui entreront dans l'Union le Premier Mai 2004 auront auparavant reçu l'onction de Washington qui interviendra ainsi directement dans leur politique de défense et d'armement. La politique de défense européenne pourra donc encore plus difficilement faire preuve d'autonomie par rapport aux Etats-Unis. La Bulgarie et la Roumanie attendront un peu plus longtemps à la porte de l'Union mais les négociations sont en cours et leur tour viendra vers 2008 et Bruxelles envisage d'ouvrir bientôt la porte à la Croatie, l'Albanie et la Macédoine. Précisément des pays auxquels l'Union Européenne commence à s'intéresser.....

Irak : bilan et orientations
Un an après le début de l'invasion l'heure est aux bilans. Pour les pertes humaines, la tendance est toujours a peu prés la même : cent morts irakiens pour un mort étasunien, soit environ 50000 contre 500. Pour les irakiens le chemin vers la " démocratie " est un calvaire.Le nombre des morts irakiens n'est pas appelé à diminuer car le programme du gouverneur Bremer est désormais clair : laisser la responsabilité du maintien de l'ordre quotidien au futur gouvernement irakien pour que, de plus en plus, les irakiens se tuent entre eux. Plusieurs dizaines de milliers de policiers irakiens sont en cours de formation accélérée pour prendre progressivement en main la répression locale. Simultanément les troupes US vont s'installer dans des bases moins nombreuses et plus sûres d'où elles assureront la protection des zones stratégiques (champs de pétrole et pipelines) et le contrôle des frontières en limitant les contacts directs avec la population locale. Les Etats-Unis s'acheminent donc vers une occupation militaire prolongée dans un pays qui n'aura qu'une apparence d'indépendance. En même temps que cette " irakisation " de la guerre, on observe une intense privatisation.Une enquête menée par le quotidien britannique " The Independant " fait état de la présence en Irak de pas moins de 400 sociétés étrangères de sécurité employant d'anciens militaires anglais australiens et sud-africains ainsi que des Gurkhas et des Fidjiens, dont l'effectif serait d'ores et déjà supérieur à celui des 8700 militaires anglais présents sur place.Ces sociétés assurent la protection des convois, des immeubles où travaille l'équipe Bremer, des bureaux des sociétés pétrolières et des sociétés ayant des contrats de reconstruction. Cette privatisation de la guerre permet de dissimuler les dépenses de l'occupation dans des budgets civils et elle est très attractive pour les nostalgiques de l'ordre colonial, un officier en retraite peut gagner 1000 €par jour

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