Semaine 13- 2004
Yougoslavie : échec
de la " guerre humanitaire "
Cinq ans après la " guerre humanitaire " destinée à interrompre " l'épuration
ethnique " au Kosovo, le bilan de cette guerre d'un nouveau type est désastreux.Malgré
la présence de 18 000 " soldats de la paix ", la KFOR sous commandement OTAN,
et de plusieurs milliers de policiers de la MINUK (ONU) une nouvelle opération
de purification ethnique vient d'avoir lieu. Cette fois-ci ce ne sera pas
prétexte à un bombardement de 40 jours par l'OTAN ; l'OTAN ne va pas se bombarder
elle-même ! Mais au moment où Bush célèbre son élargissement, l'OTAN fait
bien piètre figure sur le terrain. Les quelques serbes qui demeurent encore
au Kosovo ont en effet été l'objet d'une attaque systématique et bien organisée
qui a mis en action simultanément sur plus de 30 points du territoire plus
de 50 000 hommes bien équipés appartenant à la police kosovare qui n'est autre
que la continuation de l'UCK, cette milice albanaise considérée comme terroriste
par les Etats-Unis jusqu'en 1998, puis convertie en 1999 par les mêmes Etats-Unis
en interlocuteur responsable au moment des négociations de Rambouillet et
en " corps de protection " (sic !) de la province après les bombardements
et l'occupation par l'OTAN.
Cette action de guerre a fait plusieurs dizaines de morts dans la population
serbe locale, et ceux qui ont été protégés par la KFOR, c'est-à-dire mis à
l'abri au moment où arrivaient les terroristes, n'ont rien retrouvé de leurs
maisons, de leurs fermes, de leur bétail quand ils sont revenus sur place.Tout
avait été brûlé et saccagé. Ils ont la vie sauve mais ils n'ont plus rien
et vont aller grossir la population des camps de réfugiés en Serbie. Au passage
les terroristes s'en sont pris à tous les édifices religieux orthodoxes y
compris ceux classés au patrimoine mondial de l'humanité par l'UNESCO, pour
bien faire comprendre aux serbes qu'ils n'avaient plus rien à faire dans cette
province et que leur culture et leur histoire étaient en voie d'éradication.
Le représentant de l'ONU sur place, M. Holkeri, une sorte de gouverneur courageux
comme son ombre n'a pas hésité à déclarer que le projet de " Kosovo multiethnique
" n'avait plus lieu d'être et qu'il proposerait prochainement un nouveau concept.
Ce " nouveau concept " ne devrait pouvoir être proposé que par l'ONU qui officiellement
gouverne la province, mais M. Holkeri fait comme s'il allait décider seul
et surtout sans fâcher les albanophones.Il aura ainsi présidé à une épuration
ethnique qui, en proportions, dépassera celle qui a eu lieu au Timor Oriental.
Soucieux de mettre un terme à cette épuration qui n'avait pas cessé depuis
1999, qui concerne aussi les roms et les juifs, mais qui s'accentue, le Premier
ministre serbe, Kostunica, s'est rendu à Bruxelles pour essayer de proposer
une solution politique. Il est en droit de la faire puisque du point de vue
juridique le Kosovo est encore une province de la Serbie, ce dont la fameuse
" communauté internationale " et l'ONU, qui est théoriquement le défenseur
du droit international, se moquent.
Il a donc demandé une " cantonisation " du Kosovo, c'est-à-dire un sous-découpage
de la province créant des cantons où les serbes seraient regroupés et où la
police kosovare n'aurait pas accès.Cette proposition qui est en même temps
une solution du désespoir puisqu'elle entérine le fait que toute cohabitation
des albanophones et des serbes est désormais impossible, (merci l'ONU !) n'a
pas été retenue par Javier Solana aujourd'hui en poste à l'Union européenne,
qui, on s'en souvient, était en 1999 secrétaire général de l'OTAN, l'agresseur.
Kostunica a pu évoquer également la possibilité d'un retour de l'armée serbe
au Kosovo qui est formellement prévue par la résolution 1244 de l'ONU, mais
sans succès et l'OTAN a, pour se faire valoir, transféré quelques centaines
d'hommes de Bosnie (où ils sont plus de 30000) au Kosovo. De son côté, la
Russie a fourni une aide à la Serbie pour l'accueil des réfugiés.
Ainsi se démontre qu'une fois l'infernale mécanique du découpage ethnique
lancée, elle ne s'arrête que si ceux qui l'ont favorisée, c'est-à-dire en
l'occurrence les Etats-Unis et l'Europe désunie, décident de l'arrêter. A
défaut, les Etats nationaux explosent en provinces, les provinces en cantons,
les cantons en villages et pour finir, chacun entoure son jardin de barbelés,
s'achète une kalachnikov et les enfants vont à l'école en gilet pare-balles.
Seules les multinationales circulent librement avec les bombardiers en couverture.
Taiwan : les élections
ne passent pas
La victoire du président sortant a été trop étroite pour ne pas susciter d'abord
des questions puis une franche opposition qui a pris d'abord la forme d'un
pugilat au Parlement entre les députés des deux partis en lice et ensuite
la forme d'une immense manifestation de protestation de 400000 personnes devant
le palais présidentiel.
Les motifs de mécontentement sont nombreux :
Après avoir tergiversé
et tenté de renvoyer le problème devant la Cour Suprême qui n'aurait pas statué
avant 6 mois, l'élu a finalement accepté que les votes soient recomptés. Sa
décision était attendue par le patronat et les " marchés ", comme on dit dans
les chroniques financières, car la bourse de Taipeh était en chute libre et,
comble d'ironie, les capitaux fuyant Taiwan avaient tendance à se réfugier
à HongKong, la région chinoise autonome qui, pour les dirigeants de Pékin,
constitue le modèle de ce que devrait devenir Taiwan : une terre chinoise,
sous souveraineté chinoise, mais avec une grande autonomie économique sous
régime capitaliste. Mais elle a certainement fait l'objet d'une intense réflexion
à Washington. Il a fallu attendre une semaine pour que le porte paroles de
la Maison Blanche, mais surtout pas Bush lui-même, adresse ses félicitations
à l'élu. Ces félicitations ont suscité une réaction immédiate à Pékin où le
Ministre des Affaires étrangères a souligné que les Etats-Unis avaient écrit
à plusieurs reprises dans des communiqués communs qu'ils n'étaient pas favorables
à l'indépendance de Taiwan et qu'ils devaient donc tenir leurs engagements.
Le face à face entre la Chine et les Etats-Unis sur la question de Taiwan
se poursuit donc et reste pour l'heure sur le terrain diplomatique. Mais histoire
de compliquer la partie de Go en cours, il vient de s'y ajouter un petit conflit
sur un archipel situé entre Taiwan et Okinawa, île japonaise occupée par les
Etats-Unis et aujourd'hui gérée par le Japon.
L'archipel en question est celui des Senkaku/Diaoyu (nom japonais/nom chinois).
Il est constitué de 5 îlots volcaniques inhabités d'une surface totale de
7 kilomètres carrés. Pour le Japon, cet archipel fait partie de Taiwan et
est donc passé sous souveraineté japonaise en même temps que Taiwan en 1895.
Mais en 1945 le statut de l'archipel n'a pas été réglé et le Japon continue
à le revendiquer avec l'aval des Etats-Unis qui en 1971 lui en ont confié
la gestion en même temps que l'île d'Okinawa mais sans que cela ne figure
dans aucun texte. La Chine avance que l'archipel a été découvert par des chinois
et été régulièrement utilisé par des pécheurs chinois. Bref, un bel imbroglio
qui pourrait se dénouer entre amis si on était entre amis !
Ce n'est pas le cas et la tension monte entre la Chine et un Japon qui, impressionné
par la puissante croissance de son grand voisin, s'aligne de plus en plus
sur les Etats-Unis. Premier incident en 1996: une mission scientifique japonaise
débarque sur l'île au grand dam de la Chine. Les chinois viennent de répliquer
en envoyant eux aussi une mission scientifique. Les scientifiques, en fait
des étudiants, ont été arrêtes par la marine japonaise et Pékin exige leur
libération.
Cela parait dérisoire mais, comme on l'apprend à tous les lycéens, les grandes
guerres ont souvent des causes immédiates infimes.Il n'empêche que ces petites
escarmouches contribuent au climat de tension qui s'installe en Asie de l'Est
et dissimulent mal le fait que les eaux territoriales entourant l'archipel
des Sekaku/Diaoyu recèlent d'intéressants gisements pétroliers. Or le Japon
n'a pas de pétrole et la Chine en consomme aujourd'hui plus qu'elle n'en produit.
Cet aspect du conflit est tellement officiel que Pékin affirme que sa souveraineté
sur l'archipel ne doit pas empêcher un accord pour l'exploitation en commun
de ces richesses naturelles.
Japon : Bush au tribunal
L'alignement total du gouvernement japonais sur la diplomatie des USA ne fait
pas n'unanimité dans le pays. On en veut pour preuve la tenue à Tokyo en Février
d'un tribunal pénal international où Bush était inculpé pour avoir entrepris
une guerre d'agression contre l'Afghanistan. Ce tribunal, inspiré du Tribunal
Russell, qui dans les années 70 avait mis en accusation la politique des Etats-Unis
au Vietnam, n'était évidemment pas une juridiction créée par l'ONU ou par
le gouvernent japonais, mais une création spontanée par des intellectuels
et juristes renommés. Il a cependant, malgré l'absence de l'inculpé, travaillé
comme un tribunal, a auditionné des témoins et des experts de divers pays.
Le jugement rendu par un jury de cinq membres : deux japonais, un anglais,
un étasunien et un indien peut être résumé ainsi :
Le Président Bush, chef des armées US, est reconnu coupable de :
En conséquence, le Tribunal
a déclaré l'inculpé criminel de guerre, lui a interdit l'exercice de
toute fonction publique et il a déclaré que les citoyens, soldats et civils,
des Etats-Unis étaient fondés, sur la base des principes du tribunal de Nuremberg
qui a jugé les dirigeants nazis, à désobéir à ses ordres et à ceux de son
administration qui sont privés de légalité par la condamnation du tribunal.
Le tribunal recommande :
* Le tribunal de Nuremberg
qui jugea 23 dirigeants nazis siégea de Novembre 1945 à Octobre 1946 et prononça
12 condamnations à mort. Dans les attendus du jugement, il précisa : "Entamer
une guerre d'agression n'est pas seulement un crime international ; c'est
le crime international suprême qui diffère des autres crimes de guerre en
ce qu'il renferme en lui-même l'ensemble de leurs méfaits "
Nous tenons le texte intégral (17 pages en anglais) de ce jugement et de ses
attendus très circonstanciés à la disposition de nos lecteurs.
L'OTAN, antichambre
et sélectionneur de l'Union européenne
Les trois républiques baltes, la Slovénie, la Slovaquie la Bulgarie et la
Roumanie sont devenues membres de l'OTAN le 30 Mars 2004. Cette adhésion ne
constitue pas un grand renfort militaire puisque seules les armées bulgare
et roumaine sont d'une certaine taille (190 000 hommes) quoique que mal équipées
avec du matériel datant de l'époque soviétique. Mais l'intérêt de cette adhésion
est politique puisque il s'agit après la Pologne, La Hongrie, la République
tchèque d'une nouvelle fournée d'ex alliés de l'URSS qui s'engagent sous la
bannière des Etats-Unis.Les chefs de gouvernements venus à Washington pour
signer les documents d'adhésion ont été reçus en grande pompe par Bush qui
a souligné que désormais 40% des pays membres de l'OTAN venaient de l'ancien
bloc soviétique.
La Russie a d'ailleurs très bien compris qu'elle est ainsi l'objet d'une surveillance
militaire de plus en plus rapprochée et que son alliance avec les Etats-Unis
en fin 2001 dans le cadre de la " guerre contre le terrorisme " était un marché
de dupes. En effet les nouveaux, avec l'actif soutien des Etats-Unis, vont
faire tous leurs efforts pour convaincre leurs voisins de les rejoindre. Les
premiers visés sont : La Croatie, L'Albanie (où l'armée US est déjà présente)
et la Macédoine (où sont présentes des troupes de l'OTAN), mais d'autres pourraient
suivre.
L'autre enseignement de ces nouvelles adhésions à l'OTAN est que l'intégration
dans l'OTAN constitue aujourd'hui un préalable quasi obligatoire à l'entrée
dans l'Union Européenne, puisque 5 des Etats qui entreront dans l'Union le
Premier Mai 2004 auront auparavant reçu l'onction de Washington qui interviendra
ainsi directement dans leur politique de défense et d'armement. La politique
de défense européenne pourra donc encore plus difficilement faire preuve d'autonomie
par rapport aux Etats-Unis. La Bulgarie et la Roumanie attendront un peu plus
longtemps à la porte de l'Union mais les négociations sont en cours et leur
tour viendra vers 2008 et Bruxelles envisage d'ouvrir bientôt la porte à la
Croatie, l'Albanie et la Macédoine. Précisément des pays auxquels l'Union
Européenne commence à s'intéresser.....
Irak : bilan et orientations
Un an après le début de l'invasion l'heure est aux bilans. Pour les pertes
humaines, la tendance est toujours a peu prés la même : cent morts irakiens
pour un mort étasunien, soit environ 50000 contre 500. Pour les irakiens le
chemin vers la " démocratie " est un calvaire.Le nombre des morts irakiens
n'est pas appelé à diminuer car le programme du gouverneur Bremer est désormais
clair : laisser la responsabilité du maintien de l'ordre quotidien au futur
gouvernement irakien pour que, de plus en plus, les irakiens se tuent entre
eux. Plusieurs dizaines de milliers de policiers irakiens sont en cours
de formation accélérée pour prendre progressivement en main la répression
locale. Simultanément les troupes US vont s'installer dans des bases moins
nombreuses et plus sûres d'où elles assureront la protection des zones stratégiques
(champs de pétrole et pipelines) et le contrôle des frontières en limitant
les contacts directs avec la population locale. Les Etats-Unis s'acheminent
donc vers une occupation militaire prolongée dans un pays qui n'aura qu'une
apparence d'indépendance. En même temps que cette " irakisation " de la guerre,
on observe une intense privatisation.Une enquête menée par le quotidien britannique
" The Independant " fait état de la présence en Irak de pas moins de 400 sociétés
étrangères de sécurité employant d'anciens militaires anglais australiens
et sud-africains ainsi que des Gurkhas et des Fidjiens, dont l'effectif serait
d'ores et déjà supérieur à celui des 8700 militaires anglais présents sur
place.Ces sociétés assurent la protection des convois, des immeubles où travaille
l'équipe Bremer, des bureaux des sociétés pétrolières et des sociétés ayant
des contrats de reconstruction. Cette privatisation de la guerre permet de
dissimuler les dépenses de l'occupation dans des budgets civils et elle est
très attractive pour les nostalgiques de l'ordre colonial, un officier en
retraite peut gagner 1000 €par jour