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Bulletin 93

Semaine 14- 2004

OUZBEKISTAN : Equilibre instable
Parmi les 5 républiques ex soviétiques d'Asie Centrale, l'Ouzbekistan occupe le centre du dispositif. Le Pays est par ailleurs le plus peuplé de la région avec 26 millions d'habitants.La planification économique centralisée de l'URSS avait favorisé une extrême spécialisation des républiques en fonction de leurs atouts naturels. Les ressources en eau : l'Amou Daria, un des principaux fleuves de la région, le traverse, et le climat ont voué l'Ouzbékistan à la production de coton. Pour augmenter la production les dirigeants locaux ont usé et abusé des méthodes en cours dans la bureaucratie soviétique :

Le pays, devenu indépendant en 1991, a réussi à maintenir, sans cependant l'accroître, une production de coton qui en fait aujourd'hui le 5° producteur et le second exportateur mondial. L'Ouzbékistan dispose en outre de gaz naturel dont les réserves, sans être comparables à celles, immenses, du Turkménistan voisin, lui assurent cependant une relative indépendance énergétique. Voilà donc un pays mieux doté que ses voisins : Kirghizstan et Tadjikistan, et gouverné d'une main de fer par l'ancien dirigeant communiste, Islam Karimov.Bien que la population soit très majoritairement musulmane, la seule contestation du régime vient de deux groupes islamistes : l'un, le Hizb-Ur-Tahir, cherchant plutôt à accéder au pouvoir par un long cheminement clandestin dans les institutions d'Etat, l'autre, le MIO (mouvement islamiste ouzbek) pratiquant l'action violente. La répression de ce dernier a été très dure mais ses militants ont survécu en se repliant soit dans les montagnes proches du Kirghizstan soit en profitant de la protection des Talibans en Afghanistan. Pas étonnant que Karimov se soit rallié très vite et sans hésitation à la guerre de Bush contre le terrorisme et ait apporté son appui à l'invasion militaire de l'Afghanistan. Dès Octobre 2001 l'Ouzbékistan a mis à disposition de l'armée US une importante base aérienne de l'ex armée soviétique en même temps que le général Dostom, d'origine ouzbek, principal seigneur de guerre du Nord Ouest de l'Afghanistan mettait ses troupes au service de l'envahisseur. Mais le gouvernement de Tachkent a dû assez rapidement comprendre que la stabilisation de l'Afghanistan n'était pas en vue, même à moyen terme. Aujourd'hui même en pleine campagne électorale, l'administration Bush, bien qu'elle ait réussi à impliquer l'OTAN dans l'aventure afghane, ne se fait pas gloire de cette opération illégale, à bien des égards catastrophique pour le peuple afghan et qui a plutôt disséminé que réduit le terrorisme.
Karimov a donc pris grand soin de ne pas se fâcher ni avec ses voisins immédiats ni avec les deux grandes puissances proches : la Chine et la Russie. L'Ouzbekistan fait partie du groupe de Shanghai dont un des principaux objectifs est la sécurité collective et la lutte contre le terrorisme islamique. En même temps il garde de bonnes relations avec les Etats-Unis au point que Donald Rumsfeld l'a honoré de sa visite le 24 Février 2004 et a signé à Tachkent, capitale du pays, un accord pour l'adhésion de l'Ouzbékistan au partenariat pour la paix de l'OTAN. Cet accord permet l'intensification de la coopération militaire entre les deux pays et améliore le contrôle par l'armée US à la fois de l'Afghanistan et de la zone pétrolière de la Caspienne.
Les attentats qui ont fait une quarantaine de victimes fin Mars à Tachkent et à Boukhara constituent probablement une première riposte à ce renforcement des liens entre l'Ouzbékistan et les Etats-Unis. Pour autant Karimov n'en continue pas moins son exercice d'équilibre diplomatique et doit rencontrer Vladimir Poutine pour renforcer la coopération entre les deux pays dans la lutte contre le terrorisme.
Un des terrains d'entente nécessaire est la lutte contre la drogue. En effet, la reprise massive de la production afghane qui occupe aujourd'hui la première place mondiale pour l'opium et l'héroïne a redonné toute leur vigueur aux réseaux qui en passant par l'Ouzbékistan, le Kazakhstan, la Tchétchénie acheminent l'héroïne vers la Russie et l'Europe de l'Ouest et constituent des points de contact et des lieux de partage de l'argent et des armes entre mafieux, groupes terroristes et services secrets de toute cette région du monde.
Les kamikazes de Tachkent et Boukhara, comme leurs victimes, ne sont que l'émergence horrible et soudaine de cette guerre de l'ombre qui se poursuit.

IRAK : Privatisation de la guerre
Confirmation de ce que nous annoncions dans notre bulletin 92, les civils étasuniens tués dans une embuscade à Fallujah et dont les cadavres ont été brûlés devant les caméras, étaient des civils un peu particuliers : en pratique des mercenaires qui de plus en plus assurent des missions de protection des officiels US, des locaux importants, des sites de production pétrolière et même des casernements des armées d'occupation.Les morts de Fallujah étaient salariés de l'entreprise US " Blackwater " ( qu'on pourrait traduire sans trahir" Eaux troubles " ça ne s'invente pas ! )
Ce recours à des milices privées est le signe que les soldats US et leurs familles sont de moins en moins motivés pour faire cette sale guerre. Pour preuve les mesures d'incitation prévues dans le projet de budget 2005 :d'abord une prime mensuelle de 150 $ par mois pour les hommes servant en zone de combat étant précisé que cette prime ne sera pas prise en compte pour l'octroi de l'aide alimentaire aux Etats-Unis car 25000 familles de soldats sont assez pauvres pour pouvoir avoir droit à cette aide alimentaire, ensuite le doublement de la prime de décès versée par le gouvernement aux familles des hommes ou des femmes morts au combat et qui sera portée de 6000 à 12000 $.
Un autre signe que l'armée US, bien que supérieurement équipée, est en train de devenir ce qu'on appelait au Moyen-Âge " une armée de gueux " méprisée par ceux qui l'envoient au combat, est le fait que 40 % des familles de soldats de base sont endettées et dans des situations financières difficiles.
En même temps qu'il augmente les primes pour les actifs, le budget 2005 prévoit que les vétérans malades des suites de la guerre devront d'une part souscrire une sorte de contrat de suivi sanitaire et d'autre part contribuer individuellement à leurs dépenses de santé jusqu'alors entièrement prises en charge par l'Etat fédéral. Cette mesure devrait décourager plusieurs centaines des milliers de vétérans de demander quoi que ce soit à l'Etat.Décidément les néocons qui gouvernent les Etats-Unis sont infects !

In memoriam : Aznar : meilleur allié de Bush !
Peu avant sa déroute électorale et donc dans le cadre de sa campagne, Aznar avait répondu à une invitation du Président de la Chambre des représentants US et avait prononcé le 4 Février dernier à Washington un discours devant cette assemblée ou plus précisément devant une petite partie de cette assemblée car sa venue n'avait pas suscité beaucoup d'intérêt chez les honorables parlementaires. Au point que Bush, pour éviter un camouflet diplomatique, avait donné ordre à Dick Cheney et à Collin Powell de venir l'encourager à la tribune. Ce jour là Aznar avait prononcé une phrase qui prend aujourd'hui une couleur bien douloureuse : " La relation transatlantique renforce les européens comme les américains et elle rend le monde plus libre et plus sûr ! " et une autre dont les électeurs espagnols se sont probablement souvenus : " Nous considérons comme important que la voix des victimes du terrorisme soit écoutée en permanence "

Israël : soutien permanent des Etats-Unis à la politique de Sharon
En Mai 2002 le Congrès des Etats-Unis a voté à une très large majorité une résolution éclairante sur le soutien politique des Etats-Unis à Israël. Pour commencer dans l'exposé des motifs la résolution condamnait Yasser Arafat qui échouait à endiguer le " terrorisme " (le terrorisme d'Etat israélien est évidemment passé sous silence), et elle indiquait que le " terrorisme " a fait 9000 victimes israéliennes (pour les parlementaires US les morts palestiniens ne comptent pas).
La résolution

Ce vote du Congrès US en dit plus long que toutes les palinodies des diplomates. Il ne reconnaît aucun droit aux palestiniens et il constitue un appui total, sans réserves et sans nuances à la rhétorique guerrière de Sharon et à sa politique extrémiste qui s'est poursuivie depuis sans discontinuer et sans que jamais les Etats-Unis ne prennent une disposition quelconque pour l'arrêter. Il est une " feuille de route " pour l'écrasement des palestiniens et il a été reçu comme tel à Tel Aviv si même il n'y a pas été rédigé.

Israël : Mordechai Vanunu, bientôt libre, mais ...
Après avoir purgé ses 18 années de prison pour atteinte à la sûreté de l'Etat, Mordechai Vanunu, ce citoyen israélien qui a révélé au monde que son pays fabriquait des bombes atomiques dans le centre de Dimona dans le désert du Néguev où il avait travaillé, va être libéré. Sa libération inquiète le gouvernement israélien qui pas plus que ses prédécesseurs n'a reconnu l'existence d'un arsenal nucléaire du même ordre de grandeur que celui de la France.
De peur que Mordechai Vanunu ne se remette à parler, diverses mesures sont envisagées pour continuer à le surveiller hors de sa prison : surveillance administrative, assignation à résidence, interdiction de voyage à l'étranger - on se souvient qu'il avait fait ses révélations à Londres -
Or, à moins d'imaginer, ce que tous les faits contredisent et ce qui ne lui a jamais été reproché par les autorités israéliennes, que Vanunu ait été membre d'un réseau hostile à Israël, on ne voit pas trop ce qu'il pourrait avoir encore à dire sur l'armement nucléaire de son pays après 18 ans d'enfermement sous haute surveillance. Il faut donc craindre que sa libération ne donne l'idée à certains dirigeants israéliens de mettre en application le proverbe : " Le premier qui dit la vérité, il doit être exécuté ! "

Venezuela : le jeu des syndicats
La tentative avortée de renversement du gouvernement Chavez en Avril 2002 a été conduite par une étrange coalition où se retrouvaient côte à côté le patronat, les grands propriétaires fonciers mais aussi la centrale syndicale CTV (Confédération des travailleurs du Venezuela).
Carlos Ortega , secrétaire général de la CTV, a fait alliance avec Pedro Carmona Estanga, président de la Fédération des Chambres de commerce lequel a cru pendant quelques heures le 12 avril 2002 être à la tête du Venezuela. Ortega sentit assez vite le vent tourner et prit ses distances lorsque Pedro Carmona annonça la dissolution de l'Assemblée nationale et de la Cour Suprême.
Cette participation au coup d'état manqué a été suivie d'une action purement syndicale en Décembre 2002 et Janvier 2003 qui a consisté en un blocage, sabotages à l'appui, de la production pétrolière qui n'a pas duré moins de 63 jours. En raison de l'importance des recettes pétrolières pour le pays, ce blocage a provoqué une baisse de 27 % du PIB au premier trimestre 2003 et le budget de l'Etat s'en est trouvé appauvri d'autant.
Pour mener cette opération de déstabilisation du régime, la CTV a eu le soutien actif de la centrale syndicale des Etats-Unis : l'AFL-CIO.L'AFL-CIO a en effet gardé des habitudes héritées de la guerre froide où elle apportait son soutien aux syndicats anticommunistes. Ce fut par exemple le cas en France pour la création de Force Ouvrière en 1947 puis plus tard elle intervint dans le renversement du gouvernement d'unité populaire au Chili. Depuis l'AFL-CIO qui, à l'époque, avait des secrétariats spécialisés par grandes régions du monde a réorganisé son activité internationale et créé un " Centre américain pour la solidarité syndicale internationale " (acronyme anglais : ACILS). Ce centre, très autonome par rapport à la direction du syndicat, rend peu compte de ses activités aux structures de base et aux militants aux Etats-Unis et il ne pèse pas dans les comptes de la centrale syndicale puisqu'il est largement financé par la NATIONAL ENDOWMENT FOR DEMOCRACY (engagement nationale pour la démocratie, en abrégé NED) créée par Reagan en 1983 et longtemps dirigée par Henri Kissinger. La NED reçoit elle-même ses fonds directement du département d'Etat mais proclame agir de façon totalement indépendante.
En fait le NED est intervenu régulièrement en Amérique latine depuis sa création et en particulier au Venezuela et ces dernières années le quart de son budget est allé à la CTV via l'ACILS, tout cela au nom de la " solidarité syndicale internationale " !
Dans leur majorité les travailleurs vénézuéliens n'ont pas d'illusion sur la CTV, ils savent que le syndicat est contrôlé par l'Action Démocratique, parti de droite hostile à Chavez, que son fonctionnement interne n'est pas démocratique, qu'il syndique surtout la fraction privilégiée du salariat dans l'industrie pétrolière et qu'il n'a développé aucune analyse du néolibéralisme et de la mondialisation, phénomènes qui touchent la majorité de la population.
Cependant tout indique que, malgré les échecs d'Avril 2002 et de Janvier 2003, la CTV continue à faire partie du noyau dur de l'opposition à Chavez et continue à recevoir le soutien financier (en millions de dollars) et les conseils de l'ACILS.
Pour les Etats-Unis la manipulation d'une organisation syndicale est un outil classique de déstabilisation d'un gouvernement élu démocratiquement, mais la tâche est difficile quand ce syndicat recrute dans les couches aisées du salariat et se préoccupe peu de la grande masse des travailleurs pauvres. Or c'est précisément de cette grande masse que se préoccupe le gouvernement Chavez.
Pour rester dans le ton une citation d'Edgardo Lander, professeur à L'université Centrale du Venezuela à Caracas dans un article publié par l'excellente revue " Alternatives Sud " et intitulé " Réflexion latino-américaine sur l'université, les savoirs hégémoniques et l'ordre libéral dominant " :

" Cette nouvelle domination libérale a lieu à un moment historique correspondant à la suprématie économique, militaire et culturelle des Etats-Unis. Dans ces conditions, ce qui est naturalisé et prétend s'universaliser, ce n'est point tant la société capitaliste, avec sa grande diversité d'expressions historiques, mais un modèle particulier, celui qui s'est consolidé aux Etats-Unis ces deux dernières décennies avec l'arrivée au pouvoir de Ronald Reagan et la mise en œuvre du programme politique de la nouvelle droite "

Rwanda : le génocide vu des Etats-Unis
Des documents récemment déclassifiés font apparaître que dans les deux semaines suivant le début du massacre (6 Avril 1994) les officiels US n'ignoraient rien de son ampleur et de son horreur, utilisaient entre eux le terme de " génocide " mais que la consigne était de ne pas prononcer le mot en public car Clinton, échaudé par la débâcle somalienne, avait décidé de ne pas intervenir. Les secrets d'Etat français sont hélas moins facilement accessibles.
Il fallut attendre le 25 Mai pour que l'expression amoindrie " actes de génocide " soit employée officiellement aux Etats-Unis. Le drame était quasi terminé. Pourquoi ce silence ? Parce que le minuscule Rwanda n'était pas un objectif stratégique et ne recélait aucune richesse minière particulière.
Clinton se rendit à Kigali en 1998 et affirma pour s'excuser que, comme lui, beaucoup de dirigeants (il pensait sans doute au gouvernement français) n'avaient pas compris depuis leur bureau la " terreur inimaginable " qui frappait le peuple rwandais.Un an plus tard il bombardait la Yougoslavie.
Ce qui démontre que l'ingérence humanitaire est une doctrine à géométrie éminemment variable et qu'il faut toujours se demander quel est l'intérêt de l'ingérence non pas pour celui qui la subit, là on est abreuvés de justifications (vraies ou fausses), mais pour celui qui la décide.

Cauchemar à la Maison Blanche
D'après les statistiques annuelles du commerce international qui viennent d'être publiées pat l'OMC, la Chine est devenue en 2003 la 3° puissance commerciale du monde après les Etats-Unis et l'Allemagne.Ses exportations ont augmenté de 35% et ses importations de 40% en un an. Depuis 1990, le rythme de croissance moyen des échanges extérieurs de la Chine est de 15%.Le Japon qui exporte un peu plus et importe un peu moins fait presque jeu égal avec la Chine mais avec 10 fois moins d'habitants !

La citation de la semaine
Un clin d'œil à Gandhi qui, parlant de l'attitude des gouvernants face aux mouvements de masse non violents, leur disait : " D'abord ils vous ignorent. Puis ils se moquent de vous. Ensuite ils vous combattent. Alors, vous gagnez !"

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