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Ni Mars
ni Vénus

IDA DOMINIJANNI

Editorial du mercredi 31 décembre 2003, Il Manifesto
http://www.ilmanifesto.it/ archivio/

Traduit par M-A Patrizio

La Atlantic divide, alias " fracture politique " qui, sur la guerre en Irak, a catalysé d'autres divergences, dont certaines plus anciennes, entre les deux rives de l'Atlantique, est une des obsessions lancinantes dont nous n'arriverons pas à nous débarrasser avec les pétards de cette nuit. Et même, plus il en arrive et plus l'obsession se renforce. Après l'écroulement de la constitution européenne et l'arrestation de Saddam (les mêmes jours), le parti atlantiste qui est celui qui souffre le plus de cette obsession, aurait dû trouver un peu d'apaisement dans la confirmation rétablie de la suprématie US : d'autant qu'il suffisait d'un coup d'œil aux titres satisfaits des journaux de l'establishment américain, qui portaient un toast à l'issue négative du sommet de Bruxelles autant qu'à la photo " néolithique " du raïs, pour réaliser la valeur du doublé de l'ami américain. Et au contraire non, rien ; nous sommes toujours en déficit de génuflexions à son égard.

La France et l'Allemagne n'ont pas accepté la guerre et ne participent pas à la pacification de l'Irak ? Il s'agit, comme nous l'a expliqué le Corriere della Sera ces jours-ci, d' " une véritable désertion " de la guerre au terrorisme. Ça, c'est pour le philo américanisme européen. Mais l'antiaméricanisme, disons le, n'a pas été en reste, alimenté par les esprits catastrophistes de l'ère Bush 2. Ni, non plus, l'anti-européanisme américain, pétri avec la peur de l'euro d'abord et de l'Union politique ensuite, et gonflé de nouveaux slogans à sensation : Hobbes contre Kant, pour signifier la nécessité de la guerre préventive contre la mollesse européenne de la paix perpétuelle. Mars contre Vénus, pour dire l'esthétique de la force contre la contemplation de l'esthétique. D'autre part, aux Etats-Unis, les intellectuels et les minorités (assez conséquents, si l'on en croit les sondages de Michael Moore plus fiables que ceux de Fox News) qui voient en Bush non pas le futur mais la peste de l'empire, en appellent à l'Europe comme à l'unique sauvegarde pour la civilisation des droits et du droit. L'Atlantic divide, comme on peut voir, est tout autre que linéaire.

En fait rien n'est plus insensé que de prétendre tracer au milieu de l'océan une ligne de front que les vagues briseraient et rejetteraient, égale et diverse, sur les deux rives. Non seulement parce que les Etats-Unis et l'Europe, comme il est évident, sont politiquement, socialement, culturellement divisés en leur propre intérieur. Mais aussi parce qu'ils sont, vice versa, unis par des impasses et des contradictions assez semblables. Deux exemples : le conflit entre usage de la force et garantie du droit, dont l'opposition entre guerre préventive et droit international est le pic le plus élevé, mais qui aux Etats-Unis comme en Europe voit les exécutifs et les cours judiciaires s'affronter toujours plus (c'est le cas pour Guantanamo là-bas et pour Berlusconi ici). Et la crise du multiculturalisme et de la tolérance libérale et démocratique : qui ne résiste ni ici ni là-bas à la pression du glocal, à savoir cette mixture explosive d'unification des diversités et de revendication des identités dont est faite la globalisation. Il est clair, en ce domaine, que l'Europe n'est pas arrivée, et espérons qu'elle n'y arrive pas, à la mise en scène en forme de western du " choc des civilisations " entre occidentaux et islamiques ; mais nous savons combien le vieux continent est tout autre qu'immune des courants racistes et xénophobes. Et en vis à vis, l'Amérique bigote du multiculturalisme politically correct, démolie à juste titre dans "La tâche humaine" de Philip Roth, n'arrive pas à imposer par décret d'enlever le foulard et d'endosser la laïcité comme fait la France de Chirac.

Le fait est que l'Occident dans son ensemble, sur l'une et l'autre rive de l'Atlantique, avaient été envahis par des barbares, et heureusement, bien avant que Ben Laden envoie ses deux avions exploser sur les symboles de la logique binaire. Ce ne sont pas les kamikazes, mais deux décennies au moins d'immigrations postcoloniales qui ont érodé et changé l'identité occidentale. Les kamikazes, au pire, en ont ressuscité l'idole fondamentaliste, opposée et en miroir au fondamentalisme identitaire de chez eux. Par ce simulacre, sur les ruines de Bagdad, Bush le jeune a pu nous offrir son but le plus éclatant, quand il a assimilé la liberté au chaos. Et ceci sans réaliser que c'est justement sur cette idée primordiale de la liberté que se fonde l'idée tout aussi primordiale d'une souveraineté absolue, forte de sa propre violence seulement, comme celle qu'il prétend, lui, incarner. Les ruines de Bagdad sont nos propres ruines. Au-delà et en deçà de l'Atlantique, ce n'est pas des barbares mais de nous même que nous devons défendre l'Occident.

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