Enfants
Tommaso Di Franceso
Edition du 24 mars 2004, il manifesto
Le monde, qui devait être sauvé par les enfants, est en train de devenir, sous nos yeux d'observateurs impuissants, le monde qui, justement, tue de préférence les enfants. Dans les innombrables "petites" guerres oubliées, les armes, trop lourdes, sont souvent empoignées par des mains trop frêles. Et dans les grands conflits, incurables blessures ouvertes, la cible immuable reste significativement celle-là. Comme pour confirmer que la guerre n'est pas seulement destruction totale mais réduction à la dernière extrémité mortelle de toute présence vitale. Ainsi ces images d'un enfant de 14 ans - sa mère dénonce même ses "troubles psychiques" - arrêté avec une ceinture kamikaze à Naplouse et prêt à se faire exploser, semblent vouloir refermer l'ouverture de toutes les portes de tous les enfers. Les mandataires de cette action criminelle ne peuvent recourir à la justification de l'enfer quotidien que représente l'occupation militaire israélienne des territoires palestiniens: immense prison pour trois millions d'individus réduits à faire les pigeons du tir à la cible des soldats israéliens qui, à leur gré, d'un gouvernement à l'autre, occupent et réoccupent, dans une sorte de compulsion de répétition de l'arrogance militaire. Là, c'est vrai, toute légitimité et droit international se sont brisés contre le mur - c'est le cas de le dire - de Sharon. Mais aucune logique de pure violence, d'utilisation instrumentale de corps innocents devenus bombes humaines, ne pourra jamais être une réponse.
L'élan du sang, c'est clair désormais, tue en même temps que les innocents les droits mêmes du peuple palestinien.
L'assassinat plus que ciblé du Cheikh Yassine semble fait à dessein pour que le mortel jeu de l'oie ne s'arrête pas; pour que la vengeance réponde dans la "même mesure", et que le fondamentalisme demeure l'unique arme pour un peuple entier, désormais aux prises avec la dernière annonce provocatrice du gouvernement israélien: " maintenant c'est à Arafat". Il ne doit pas y avoir d'issue.
Il faut au contraire dire non. Et nous ne sommes pas "poètes" en le pensant, puisque même le nouveau leader du Hamas, Rantissi - tout en l'excluant bien sûr "si l'occupation continue" - est revenu hier de façon inattendue à "une possibilité de trêve". Maintenant nous attendons tous l'attentat. Et au contraire ce serait décisif - bien sûr incroyable, mais quand même souhaitable - qu'à un assassinat délibérément atroce corresponde cette fois le maximum de sens politique et de réponse de masse. Ce qui épouvante vraiment les généraux israéliens et le gouvernement de Sharon, retranchés et prêts, avec 60% de soutien des Israéliens, à répondre avec des moyens militaires incomparables, ce n'est pas et ne sera pas le kamikaze qui sèmera des éclats de mort parmi d'autres civils israéliens, en tuant dans le tas... Ce qui les préoccupe au contraire c'est la mobilisation diffuse et le silence inhabituel qui se sont répandus dans les villes palestiniennes. Ce silence dit que pour un peuple entier la coupe est pleine; ce silence est civil et se présente comme force de choc réelle contre les puissants de la terre bien plus qu'une riposte militaire. Et nous, il nous appelle à la mobilisation. Parce que, aussi, il n'y a pas de riposte militaire à l'arrogance de Sharon, à ses missiles Cruise, aux Apache, aux chars, aux F-16.
Si la misère palestinienne pousse les jeunes à se mettre à disposition pour exécuter des commandes - rappelait Zvi Shuldiner ce mardi-même - quel que soit celui qui utilise cette disponibilité pour apporter la mort dans le camp ennemi, qu'il sache que cela correspond à la même violence que l'occupant qui, bien sûr, n'a pas hésité à tirer avec des chars sur des foules d'enfants "armés" de pierres. C'est la même radiation du droit à la vie. Il n'y a pas à libérer seulement les Territoires, mais les corps et les vies des faibles et de ceux qui sont différents, des femmes, l'espoir des jeunes, la mémoire des vieux. Que le monde continue à être sauvé par les enfants, surtout par ceux de Palestine.