Modèle Fiat
ROSSANA ROSSANDA
Edition du 27 avril 2004, il manifesto
http://www.ilmanifesto.it
/art6.html
Traduit de l'italien par M-A Patrizio pour Femmes en Noir, Marseille et Comaguer
Gueux et réactionnaires comme toujours. Que peut-on dire d'autre de ce patronat de Fiat, ou des banques qui leur pendent aux basques, dans le conflit de Melfi [1]? C'est une usine clé, centrale dans le système à flux tendu, qui réduit à néant entrepôts et stocks; c'est le deuxième complexe en productivité pour toute l'Europe mais Fiat prétend garder ses cinq mille employés à des salaires de 15 à 25 pour cent inférieurs à ceux des autres sites avec des fréquences plus serrées et des semaines de travail sur six jours. Et quand après des années de contrats qui les ont pris à la gorge, signés en tant que Fiat-Sata, les travailleurs de Melfi demandent à être alignés sur les autres contrats, on ne leur répond même pas. Et quand, exaspérés, ils organisent une protestation, on leur balance la police avec casques et matraques. Ça, c'est arrivé hier matin. Nous sommes en 2004, on se gargarise de globalisation et de compétitivité mais les héritiers de l'Avocat[2] dirigent la main d'œuvre comme le faisait il y a cent ans un régisseur pingre. Ils pensent qu'avec les gens de la Basilicate on peut faire ce qu'on veut : c'est une région pauvre du sud ; on a recruté les travailleurs sur un territoire très large pour qu'ils aient deux heures de trajet à faire, et avec leurs propres moyens, et sur des routes défoncées où les accidents sont la règle, de façon qu'ils restent divisés au-dehors comme dans les grands espaces du complexe industriel. Peu importe qu'ils soient morts de fatigue, que les sanctions pleuvent par milliers (neuf mille en cinq ans), que beaucoup s'en aillent parce qu'ils ne supportent pas, ce qui n'arrive dans cette proportion en aucun autre endroit ; mais mieux vaut dilapider le savoir-faire en misant sur les chômeurs des alentours que payer ses employés à des prix normaux avec des horaires normaux. Voila comment pense notre classe dirigeante qui se vantait d'avoir fait de l'Italie la cinquième puissance industrielle du monde.
Cette direction est non seulement arrogante, elle est stupide, aussi. Elle n'a même pas dû se payer quelque sociologue assez intelligent pour lui expliquer que dans le Mezzogiorno, c'est une erreur de croire que l'absence de longue tradition de lutte signifie éternelle résignation. La Fiat a trop tiré sur la corde et elle se trouve maintenant devant une protestation qui s'est enflammée tout d'un coup sur des exigences élémentaires, et la décence aurait dû servir d'avertissement. C'est la Rsu, l'organisation d'usine, qui a lancé le mouvement en bloquant l'accès à un établissement dans lequel la communication interne est difficile. La direction a cru pouvoir la contourner en établissant des accords avec les Fim-Csil et Uil, malléables, tout en terrorisant les travailleurs de Mirafiori[3] , pris entre deux périodes de chômage technique, jusqu'à ce que certains n'écrivent à Melfi en les suppliant d'arrêter parce que : notre travail est entre vos mains. Comme s'ils n'étaient pas tous entre les mains de la famille de Turin. La presse et les médias n'ont pas manqué de se précipiter pour déprécier le peu de conscience globale des ouvriers et prêcher la liberté de collaboration. Tout faux. Melfi a tenu, dix mille personnes[4] ont entouré le complexe avant-hier et Fiat, comme, je suppose, le préfet de Potenza ont perdu la tête en envoyant la police défoncer le blocus.
Coup imprudent. Demain ce seront tous les métallos d'talie qui seront en grève et on verra qui l'emporte. Et jusqu'à quand le gouvernement pourra faire semblant de se tenir à l'écart. Et jusqu'à quand l'opposition hésitera à s'engager sur une question de justice salariale et normative aussi élémentaire. Nous ne sommes pas encore la pâle imitation des Etats-Unis de la droite républicaine.
La décision de lever les barrières aux portes de l'usine devait être prise jeudi matin, en assemblée d'usine, en fonction des négociations de la nuit. 26 000 voitures seraient perdues pour Fiat à cause de l'effet domino dans les autres établissements du groupe ; ce qui devrait inciter la direction de la multinationale à la négociation…Non ?
[1]Melfi
: en Lucanie, province de la Basilicate, à l'est de la Calabre, c'est pas
les plus riches en Italie…
[2] L'Avvocato =Gianni Agnelli, patron
de Fiat, mort l'année dernière.
[3] Mirafiori est l'usine " mère " à Turin.
[4] Sachant que la ville compte à peu
près 16 000 habitants. Délégations de nombreux établissements de la province,
mais aussi des étudiants, no-globals, etc. Occupation festive dans les prés
qui entourent l'usine avec les blessés et les familles