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Bulletin 74

Semaine 42 - 2003

Bases US à l'étranger : chiffres bruts et brutaux
800 bases dans 140 pays dont 80 importantes
350 000 hommes déployés à l'étranger (dont la moitié en Irak, ce que l'état-major trouve un peu lourd)

Syrie : agression israélienne caractérisée
En bombardant un hypothétique camp d'entraînement palestinien à proximité de Damas, Sharon a voulu manifester sa volonté et sa capacité d'intervenir en n'importe quel point du Moyen-Orient (et même au-delà si l'on songe qu'Israël dispose aujourd'hui de missiles de 4500 Km de portée). Militairement l'opération reste modeste : un pénétration de quelques minutes dans l'espace aérien syrien, un ou deux missiles tirés, peu ou pas de victimes, peu de dégâts. Côté syrien pas de riposte militaire alors que la frontière avec Israël est bien gardée, et que l'espace aérien est sous constante surveillance. La défense syrienne a-t-elle té tournée, trompée ou bine le gouvernement syrien a-t-il choisi de rester sur le terrain diplomatique et politique. Le comportement habituel du régime conduit à privilégier la seconde hypothèse. La Syrie, actuellement membre du Conseil de Sécurité de l'ONU, a choisi de mettre Israël en accusation devant l'opinion internationale. Bien sûr, cette agression caractérisée, la première attaque israélienne contre la Syrie depuis 30 ans, n'a pas été sanctionnée puisque les Etats-Unis confirmant leur position de recordman du droit de veto s'y sont opposé. Mais elle est annonciatrice des préparatifs d'une nouvelle guerre.

Syrie : retour en arrière
Ce petit pays - 17 millions d'habitants et une superficie du tiers environ de celle de la France - occupe une place particulière dans le monde arabe. Résultant, comme tous ses voisins, du découpage de l'empire ottoman à la fin de la première guerre mondiale, il est placé avec le Liban sous mandat français par la Société des Nations et devient indépendant en 1945.

Ce découpage, réalisé par un accord de 1917 entre la France et la Grande-Bretagne, et sur un schéma élaboré à Londres, obéissait à une règle absolue bien que non écrite : aucun des nouveaux Etats créés ne devait ouvrir à la fois sur l'Orient et sur l'Occident, c'est-à-dire plus concrètement avoir deux façades maritimes l'une sur la Méditerranée, l'autre sur l'Océan Indien via la Mer Rouge ou le Golfe arabo-persique. Seule l'Egypte faisait exception mais le Canal de Suez qui assure la jonction des deux mondes et garantit la permanence du lien entre la Grande- Bretagne et le trésor de l'empire : le royaume des Indes, était géré par une compagnie franco-britannique et le sera jusqu'à sa nationalisation en 1956.

La Syrie n'ouvre donc que sur la Méditerranée comme l'Irak n'ouvre que sur le Golfe. De la même façon, la Jordanie n'a qu'une minuscule fenêtre sur la Mer Rouge tandis que la Palestine (sous mandat anglais et qui aurait du devenir un Etat indépendant en 1947) n'a qu'un rivage sur la Méditerranée. De plus et bien qu'une 1917/1918 la connaissance des réserves pétrolières régionales soit encore sommaire, la Syrie est classée avec le Liban, la Palestine et la Jordanie dans le groupe des pays sans pétrole, l'Irak et le Koweït constituant l'autre groupe.

Du pétrole sera trouvé en Syrie après la seconde guerre mondiale mais dans des gisements modestes qui assurent à l'heure actuelle au pays son indépendance énergétique et lui permettent d'être encore pour quelques années un petit exportateur mais qui ne joue aucun rôle sur le marché pétrolier mondial.

La Syrie, dont plus de la moitié du territoire est semi désertique, a de petits moyens. Sa deuxième faiblesse est la précarité des ressources en eau puisque l'Euphrate qui la traverse avant de pénétrer en Irak a sa source en Turquie et que son débit est à la merci de la politique hydraulique de son puissant voisin.

Malgré ces faiblesses, la Syrie a tenu, depuis son indépendance, une position politique originale en ce sens qu'elle n'a jamais fait allégeance aux Etats-Unis. La seule exception à ce non-alignement volontaire a été la Guerre du Golfe et son ralliement à une coalition très large et contre un voisin qu'elle redoutait, bien que les deux gouvernements aient été dominés par un parti Baas prônant le même nationalisme socialiste panarabe. Son engagement militaire dans la guerre du Golfe a d'ailleurs été modeste et des experts israéliens considèrent que pour la Syrie cette guerre a surtout fourni une occasion de faire faire des travaux pratiques à ses officiers au contact d'armées plus modernes.

Les relations avec l'Irak étaient si dégradées à ce moment là que la Syrie avait fermé un pipeline amenant le pétrole du Nord Irak au port syrien de Banyas obligeant les irakiens à utiliser un autre pipeline aboutissant lui en Turquie à Ceyhan.

Ferme vis-à-vis des Etats-Unis la Syrie l'a également toujours été face à Israël qui occupe depuis 1967 une parcelle du territoire syrien : les hauteurs du Golan. D'une superficie modeste, ce secteur est doublement stratégique. En effet, les hauteurs du Golan constituent une sorte de balcon surplombant la capitale syrienne et les eaux du Golan alimentent largement le Jourdain assurant à Israël la maîtrise de l'eau douce dans une région qui en manque cruellement. Israël a officiellement annexé le Golan en 1981 et n'a pas cessé depuis d'y installer des colons. Peu lui importe qu'aucun Etat étranger n'ait reconnu cette annexion. Il n'y a eu aucune sanction pour cette annexion pas plus que pour l'annexion du tiers de Chypre par la Turquie. Les Etats-Unis s'y opposent !

Par contre la Syrie a largement contribué au retrait de l'armée israélienne du Liban après l'invasion de 1982 et a vu sa présence permanente sur le sol libanais validée par un accord officiel entre les deux pays en 1991. Israël n'a de cesse de dénoncer cet accord car sans l'armée syrienne le Liban aurait été une proie facile et le Hezbollah libanais qui a achevé l'éviction de l'armée israélienne du Sud Liban en 2000 n'aurait pas pu continuer ses actions militaires.

Bref, dans le champ moyen-oriental, la Syrie (avec son protégé le Liban) reste aujourd'hui le seul pays qui n'est pas soumis aux Etats-Unis, le seul pays ayant une frontière commune avec Israël qui n'ait pas signé un traité de paix avec ce pays, le seul pays qui n'entretient pas de relations de coopération avec l'OTAN (voir notre dernier bulletin). C'est bien plus qu'il n'en faut pour faire partie de L'AXE DU MAL et c'est bien assez pour expliquer que Sharon, conscient de l'absolue complicité de Washington, vienne de se livrer en Syrie et au Liban à des gesticulations militaires.

Il a été couvert par les Etats-Unis au Conseil de Sécurité et le sous secrétaire d'Etat à la défense US, John Bolton a mis aussitôt en circulation le dernier argument de la propagande guerrière de Washington qui est celui-ci :
" S'il n'y a pas d'armes de destruction massive en Irak, c'est parce qu'elles ont été transportées en Syrie ".

C'est presque une déclaration de guerre car pour redessiner le Moyen-Orient ce qui est le véritable objectif partagé par Israël et les Etats-Unis, il faut faire tomber le régime syrien.

Cette politique des Etats-Unis vient d'être confirmée par un vote de la Chambre des représentants qui le 8 Octobre a approuvé le " SYRIA ACCOUNTABILITY ACT " qui exige de la Syrie quelle :

sous peine de sanctions : gel des importations et des investissements US en Syrie, gel des relations diplomatiques entre les deux pays, gel des avoirs syriens aux Etats-Unis.

Le texte doit être soumis au sénat mais c'est un détail. Le nouveau " show " militaire US est lancé et Israël a, si l'on ose dire, frappé les trois coups.

Il reste une inconnue sur la scène diplomatique : la Syrie, pays méditerranéen, a vocation à devenir un partenaire privilégié de l'Union Européenne au titre des accords de Barcelone (partenariat euro méditerranéen). Les négociations de l'accord d'association Syrie/UE initiées en 1998 se poursuivent. L'Europe va-t-elle hâter le pas pour conclure cet accord et se positionner comme soutien de la Syrie ou au contraire attendre que Bush et Sharon aient réussi, s'il y arrivent, à installer à Damas un gouvernement à leur botte. La seconde hypothèse est hélas la plus probable surtout en période de présidence italienne.

La Turquie prête à occuper le Nord de l'Irak
Ayant refusé au printemps de participer militairement à l'invasion de l'Irak ; la Turquie vient d'accepter de participer à l'occupation du pays. En effet, le Parlement où domine le parti islamiste s'est rangé à l'avis du gouvernement et a accepté l'envoi de 10000 hommes en Irak. Les Ettas6Unis ont arraché cette décision en octroyant une crédit de 8 milliards de $ à la Turquie qui se débat dans de graves difficultés économiques et financières et qui va pouvoir ainsi, à défaut d'améliorer la condition populaire, ^payer ses soldats et mettre du carburant dans ses tanks. Pour les Etats-Unis c'est un succès qui leur permet de recruter 10000 mercenaires supplémentaires connaissant bien le terrain et d'alléger d'autant sa charge militaire propre.

Pour la Turquie, cette intrusion militaire massive en pays kurde est une aubaine et lui donne l'espoir d'en finir une fois pour toutes par l'extermination, avec le PKK/KADEK dont les forces militaires se sont repliées en Irak en même temps qu'elle lui ouvre la route des champs pétroliers de Kirkuk.

Comme les attaques contre la Syrie et le Liban, il s'agit là d'une étape supplémentaire dans la mise à feu, à sang et à sac de toute la région. Le gouvernement provisoire irakien fantoche de Bagdad a beau manifester la plus vive inquiétude face à cette résurgence de la domination ottomane sur la Mésopotamie, il ne doit voir là qu'une illustration supplémentaire de son insignifiance.

En attendant, les marchands de canons se frottent les mains : à l'exposition militaire qui vient de se tenir à Ankara, la Turquie a acheté pour 3 milliards de $ d'armement aux firmes israéliennes présentes.

Les mauvaises habitudes impérialistes au Moyen Orient
Un article du quotidien anglais GUARDIAN du 27 Septembre s'appuyant sur des documents déclassifiés de la CIA et du MI6 (services secrets britanniques) est venu opportunément rappeler que les interventions dans la vie politique du Moyen Orient avaient été nombreuses depuis la seconde guerre mondiale mais que le succès n'était pas toujours au rendez-vous. Au nombre des succès : le renversement du gouvernement iranien du Docteur Mossadegh en 1953 et en 1957 un appui décisif au roi Hussein de Jordanie dont le premier Ministre voulait nouer des relations diplomatiques avec l'URSS. La 6° flotte US vint alors faire des manœuvres au large de la Jordanie et cette menace militaire permit au roi d'éviter ce tournant diplomatique.

Par contre les projets contre la Syrie échouèrent.

En 1955 en pleine vague de nationalisme arabe et de politique de non-alignement, les Etats-Unis regroupent les régimes qui leur sont fidèles (Grande-Bretagne, Pakistan, Iran et Irak) dans le pacte de Bagdad. La Syrie refuse de s'y joindre et, au contraire, signe en août 1957 un accord de coopération militaire et économique avec Moscou, reconnaît la Chine populaire et porte à la tête de son armée le général Afif al Bizri qui a des sympathies pour l'URSS. Les pays du pacte de Bagdad décident donc de renverser le régime syrien. Les documents déclassifiés donnent le détail des provocations à faire, des sabotages à effectuer et des incidents frontaliers à susciter pour justifier l'invasion de la Syrie par l'Irak. Il est même prévu, avec l'accord du président Eisenhower et du premier ministre anglais Mac Millan, d'assassiner les personnages clés du gouvernement syrien. Il est également prévu d'aider les opposants au régime baasiste : druzes au sud du pays et Frères Musulmans (intégristes) à Damas. Il est même écrit que le gouvernement arrivé au pouvoir dans ces conditions sera impopulaire et qu'il devra dans un premier temps être répressif et autoritaire.

Nasser réagit, mobilise l'opinion publique, dénonce les régimes traîtres à la cause arabe et envoie un petit contingent militaire en Syrie. Le coup d'état syrien n'aura pas lieu et au contraire quelque mois plus tard c'est la monarchie irakienne, mise en place par l'Angleterre qui tombera (14 Juillet 1958 : coup d'état militaire du Général Kassem)

Quarante six ans sont passés, mais les mêmes puissances impériales rejouent toujours le même film.

Petits arrangements franco étasuniens
Les grandes oppositions de tribune entre la France et les Etats-Unis ne peuvent masquer quelques petits faits significatifs qui démontrent que les désaccords portent plus sur les méthodes de guerre que sur les objectifs. Ainsi le général US James L. Jones, issu du corps des Marines et qui commande aujourd'hui les forces de l'OTAN en Europe vient-il de faire récemment dans Newsweek un éloge appuyé des qualités de l'armée française dans ses interventions en pays étranger : "La France a probablement le meilleur corps expéditionnaire d'Europe. Sa capacité militaire est impressionnante dans tous les types d'opérations. Son aviation est moderne, sa marine est moderne, son armée de terre que je connais et avec laquelle j'ai travaillé voici 11 ans en Irak est très bien. "

Mais cet éloge traduit des réalités bien concrètes bien que tenues cachées jusqu'à présent. C'est en effet un journal suisse qui a dévoilé récemment que les forces spéciales françaises étaient désormais présentes en Afghanistan et intervenaient sur le terrain dans la région de Kandahar à la place des forces spéciales étasuniennes pour faire la chasse aux opposants au gouvernement fantoche de Karzaî et à des talibans qui, décidément, ne sont pas tous morts.

Le général Jones apprécie donc en connaisseur que la France entérine ainsi le fait que l'OTAN, qui semblait vouée à disparaître après la chute de l'URSS, soit devenue une organisation militaire planétaire qui peut intervenir dans le monde entier et en particulier là où le souhaitent les Etats-Unis puisque l'OTAN prenant ses décisions à l'unanimité, les Etats-Unis y disposent en pratique d'un droit de veto.

Ces compliments ont suscité une certaine gêne à Paris en particulier dans le lobby militaro-industriel qui passe son temps à dire qu'il faut augmenter les dépenses militaires de la France pour améliorer une armée déficiente, lobby auquel Chirac et sa ministre de la Défense prêtent toujours une oreille très complaisante.

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